En décidant d’ouvrir les colonnes de son blog aux métiers du son, de la lumière, , Mamusicale innove et étend sa vision aux métiers gravitant autour de la scène, souvent méconnus du grand public, mais sans qui, nombre de “spectacles vivants” peineraient à trouver leur véritable dimension
Mamusicale respecte donc les lois de l’hospitalité voire les accentue, pour accueillir également les témoignages des métiers de la programmation, de la communication et de la production de spectacles.
Pour initier cette série d’entretiens, nous sommes allés à la rencontre de William Parnière, ingénieur du son indépendant, qui s’investit aussi dans des associations musicales comme les Agla’ Scènes, et qui a accepté d’être notre “cobaye” et premier contributeur. Mention spéciale pour cette première intervention.
Notre ambition est simple, contribuer à révéler ces “hommes de l’ombre” en les “poussant” sur le devant de la scène, permettre à nos lecteurs de découvrir leur activité et leur environnement professionnel et pourquoi pas, susciter ou encourager des vocations !
William, bonjour
Tout d’abord, je te remercie d’avoir accepté de t’être déplacé par cette grosse chaleur.
Sans tarder, entrons dans le vif du sujet.
Peux-tu nous expliquer ce que recouvre le terme “ingénieur du son” ?
Le terme ingénieur du son est un abus de langage. Une mauvaise traduction de l’anglais “sound engineer”, nous ne possédons pas de diplôme d’ingénieur. Le terme “Ingénieur du son”, recouvre des domaines très variés, cela peut se situer dans la musique, mais aussi dans le cinéma, dans la prise de son pour la télé. Moi je me suis spécialisé dans la musique et qui plus est dans la musique en LIVE. Dans la musique live, l’ingénieur du son fait en sorte que le public entende bien ce que se passe sur scène, que le son soit agréable, n’agresse pas les oreilles et qu’on entende tous les instruments distinctement sans sortir des concerts avec des acouphènes.
Sa seconde mission en concert consiste à s’assurer que les musiciens sur scène s’entendent entre eux. Ce que le public ignore souvent, c’est que dans le cadre des gros concerts il y a deux consoles ( et donc 2 ingénieurs son), une située au milieu de la salle qui s’occupe du son pour le public, la régie son Façade ou FOH ( pour Front Of House en Anglais), et une seconde console cachée sur le cote de la scène que les musiciens voient, qu’on appelle la régie retour ( ou Monitor en anglais), dont le rôle consiste à envoyer des mix de sons dans les retours de chaque musicien. Ces retours sont soit des enceintes posées sur scène orientées vers les musiciens soit des oreillettes que possède chaque musicien.Enceintes ou oreillettes le but de ces retours est identique : que les musiciens soient à l’aise pour jouer en s’entendant eux même et en entendant les autres.Sur les concerts ou évènements restreints, il n’y a pas de consoles retours, les «Mix de retours» sont alors gérés par l’ingénieur du son Façade via sa console Façade, ce qui est moins pratique car cela augmente la charge de travail de l’ingénieur du son qui doit déjà gérer le son pour le public, et réduit la communication entre les musiciens et l’ingénieur du son, placé au milieu de la salle et éloigné d’eux.
Parle-nous maintenant de ton parcours. Comment es tu venu à l’ingénieur du son ?
Je n’étais pas parti au départ pour faire ingénieur du son. Je suis musicien, et batteur depuis que j’ai six ans. Au début je voulais travailler comme ingénieur du son en amateur, en faire un plus, pas une carrière. J’ai une partie de ma famille anglaise qui est dans le spectacle, la musique; j’ai du hériter de ces gênes là. J’étais intéressé par ce métier mais je suivais en off
Au niveau étude ?
J’ai obtenu un Bac STI Génie Electronique pour m’engager ensuite dans une licence en électronique pour travailler dans les systèmes embarqués. Je voulais apprendre à faire de la maintenance. Mon école a pris un virage, informatique et programmation que je n’ai pas suivi.
Entretemps j’avais intégré l’organisation qui s’occupait des soirées, des concerts, des galas l’école se transformait en lieu de festival, plein de scènes avec des ingénieurs son professionnels . J’étais étudiant bénévole dans une petite équipe. Ensuite je me suis retrouvé à organiser le son pour certains évènements organisés par mon école et à force de baigner dans cet environnement, je me suis dit que j’en ferais finalement bien mon métier même si l’aspect intermittent du spectacle me faisait un peu peur. J’ai alors recherché une école, je voulais absolument faire de l’alternance allier de l’entreprise de la théorie et du terrain.
Quelle type d’école
L’EMC (Ecole supérieure des métiers de l’image, du son et du Web) spécialisée dans les formations technico-artistiques en alternance à Malakoff. L’admission se passe sur entretien et concours. C’est un organisme de formation privé, reconnu dans la profession. C’est chez eux, que j’ai appris à travailler.
Etablissement spécialisé, choix de l’orientation, chacun peut trouver une voie privilégiant soit le cinéma, le studio, le live, la radio. Dans ce milieu de savoir faire, les diplômes ont ils une importance ?
Le fait d’être passé par l’EMC m’a beaucoup aidé. J’ai été très bien formé sur le plan pratique et théorique. Il est très rare de se voir demander son CV. Ce milieu est finalement assez petit, tout se sait, et fonctionne par le bouche à oreille. Le remplacement d’un collègue, se fait par recommandation. Cette recommandation est une reconnaissance.
Ce système, j’imagine, basé sur la notoriété et la recommandation, comporte aussi ses inconvénients ?
On se fait très difficilement une place dans ce métier et on se grille aussi très facilement
On met beaucoup de temps à monter, mais la descente peut aller très vite. Il faut être vigilant, les seules capacités techniques ne suffisent pas, le comportement est également pris en compte.
De quelle réalisation es-tu es le plus fier ? Quelle collaboration t’a le plus marqué ?
Un jour, alors que je travaillais au Trabendo,
J’ai accueilli Ten Years After, (populaire groupe de blues rock anglais, dirigé par le guitariste Alvin Lee décédé en 2013 et sacré guitariste le plus rapide du monde)
La minute conseil de Mamusicale, n’hésitez pas à redécouvrir les infatigables “I’m Going Home” ” Choo Choo Mama” et les ‘atypiques “Classical Thing” et “Scat Thing”.
Ten Years After étaient venus avec toute leur production, les managers mais avec un seul ingé nieur son anglais qui s’occupait de la façade. Puisque il n’y avait pas d’ingénieur retour, j’ai pris à leur demande la console retour. J’étais stressé, ils sont arrivés très tard pour le concert, le back liner qui s’occupe de l’installation et du réglage de tous les instruments et des amplis est arrivé à son tour . la balance a duré 15 minutes. Le poids de l’expérience a joué, leur son sur scène était si parfait que j’ai eu peu à faire au niveau des retours. J’ai adoré le concert, ils sont venus me remercier, je garde un excellent souvenir de ce concert.
L’autre très bon souvenir est lié à ma collaboration sur une partie de la tournée de Catherine Ringer, une femme adorable, très agréable et gentille.
Quelles sont d’après toi, les qualités nécessaires pour réussir dans ce métier ?
Il faut être passionné, aimer ce métier qui n’est pas toujours facile à cause de la charge de travail, des horaires, des humeurs ou du comportement de certains artistes
Quand on travaille en régie façade, il faut trouver le compromis entre ce qu’on aime bien entendre et ce que la production veut entendre. Certaines productions sont très présentes et influentes et attendent que le son du concert sonne comme un CD, ce qui n’est pas la finalité d’un concert.
En France, les consignes visent plutôt à mettre la voix en avant et la musique derrière.
En régie retour: il faut être psychologue, rassurer les musiciens, les artistes qui sont parfois assez stressés, les mettre à l’aise.
Surtout ne rien montrer quand un problème apparait, pour éviter de créer du stress ou générer de la panique. Répondre aux sollicitations, ne pas refuser, mais essayer de les mettre en place
Il faut essayer de cerner les artistes pour les mettre à l’aise
Tu vois d’autres qualités ?
Ne pas compter les heures, être prêt à travailler la nuit, la journée, le dimanche, les jours fériés et les vacances, les journées de travail de 10 h sont considérées comme des journées courtes.
Ce métier nécessite d’être passionné et d’aimer faire ce métier
Les activités de l’ingénieur son peuvent le conduire à accompagner une tournée. La difficulté en tournée est d’être éloigné de chez soi, pendant plusieurs semaines. Il y a certes un vrai confort, des bus aménagés pour les déplacements, mais pour faire face aux journées longues, compliquées il faut rester détendu, et savoir s’intégrer à l’équipe.
Constates-tu une évolution dans les métiers du son ?
Un nouveau métier émerge et prend de plus en plus d’importance dans les tournées, c’est l’ingénieur système qui décide de l’implantation des enceintes en fonction de la salle, et synchronise toutes les enceintes.
Je le compare souvent avec un guitariste, les enceintes c’est la guitare, l’ingénieur du son c’est le guitariste et l’ingénieur système serait celui qui accorde les guitares. C’est donc lui qui règle le système et les enceintes pour qu’elles sonnent comme le souhaite l’ingénieur du son.
L’ingénieur système prend des mesures avec des logiciels, et contrairement à une idée répandue le déplacement du son est assez lent. Par exemple, si on décale deux enceintes, on entend distinctement ce décalage qui va créer comme un écho.
Quand on se retrouve dans une salle où les enceintes sont très espacées, le travail de l’ingénieur système va consister à tout synchroniser pour donner l’impression qu’il n’ y a qu’un seul point de diffusion et effacer cet écho de décalage. Les enceintes deviennent de plus en plus perfectionnées et précises, la qualité de leur restitution ne cesse d’augmenter, le son des concerts se rapproche donc de plus du son studio.
Mais cela nécessite des réglages très fins, bien plus compliqués qu’il y a quelques années. Ce métier prend un essor monstrueux, et doit gérer des données supplémentaires. Pendant un concert, beaucoup de paramètres évoluent, comme la température de l’air, l’humidité de l’air qui agissent sur la dispersion du son. L’ingénieur système est alors conduit à utiliser thermomètre et hygromètre pour réajuster les décalages, en fonction des valeurs relevées, afin que la synchronisation s’ajuste en permanence.
Je pense que cette spécialisation nécessite une formation relevant des formations de type ingénieur. J’apprends beaucoup à leur contact.
Avec quels corps de métier es tu le plus souvent en contact ?
Les musiciens, la production, les gens de la lumière, la déco, les back liner, les organisateurs d’évènements, les directeurs techniques. C’est un des attraits majeur de ce métier, rencontrer beaucoup de personnalités et un foisonnement de métiers et d’activités.
Les nouvelles technologies intriguent et effraient à la fois. Qu’est ce qui a changé ces dernières années dans ta profession ?
Nous sommes témoin d’un énorme bond en avant ces 20 dernières années. J’ai commencé à travailler quand le bond était déjà fait, dans la société Potar Hurlant, acteur de ce bond là et prestataire pour la sonorisation de festivals, tournées, évènementiels. Je participe depuis cinq ans à des évènements de taille et de nature très différentes : cela va de gros festivals comme le Printemps de Bourges, Fête de l’Huma, à la sonorisation d’une réunion d’entreprise, dans un hôtel, avec trois micros et deux enceintes.
Pour ma part, j’identifie deux bonds essentiels :
Le premier correspond à l’invention par Christian Heil, (fondateur de la marque L Acoustics) qui a révolutionné le monde du live, développant un modèle de répartition de son homogène, où le son est retranscris à l’identique, selon que l’on se trouve juste devant la scène ou en fond de salle. Ce systéme est appelé « Line Array » (ce sont ces grosses colonnes d’enceintes en forme de bananes que vous voyez accrochées de chaque côté de la scène lors de gros concerts). C’est révolutionnaire dans le sens, où cela remplace le mur d’enceinte frontal qui assommait les premiers rangs et fournissait un son plus faible et moins précis en fond de salle. Avec le Line Arrray, non seulement le niveau du son est homogène dans toute la salle mais aussi se révèle très précis.
Mourad Malki, fondateur et directeur de Potar Hurlant fournit une excellente analogie et compare ce phénomène au tuyau d’arrosage, qui, s’il est pincé, projette l’eau plus loin. C’est la même chose avec le son, on pince les ondes surtout les aigus, afin de les rendre plus directives, et qu’elles aillent plus loin
Ce système a fait le tour du monde, et Christian Heil a créé sa société. Ce système a toujours essayé d’être imité, c’est pour moi, le gros tournant des années 1990.
Le second bond correspond à l’arrivée des consoles numériques et du traitement numérique
Ça a modifié quoi ?
Cela a apporté un gros gain de place, auparavant il fallait utiliser une énorme console pesant 300/400 Kg avec de grosses armoires d’appareillage pesant 100 kg chacune. A présent, tout est contenu dans une console qui pèse 100 kg ! La transformation du son analogique en numérique induit forcément des pertes. Il est difficile aujourd’hui d’entendre cette modification. La technologie associée aux mémoires a également beaucoup évolué. Sitôt terminé sa balance et les réglages, l’ingénieur du son prenait une feuille et notait tous ses réglages, cela prenait beaucoup de temps. Aujourd’hui, on utilise des mémoires, comme sur un ordinateur, on enregistre les réglages dans une mémoire, puis on les rappelle et tous les réglages sont initialisés. Ces traitements sont possibles autant en numérique qu’en analogique.
On parvient désormais à faire plus de choses intéressantes dans le même temps de travail. Il y a par exemple, une mémoire de console disponible par titre de chanson, voire même plusieurs, une pour le couplet, une pour le refrain ce qui permet d’automatiser et de produire des effets et de mixer différemment. Cette automatisation nous permet d’agir pendant le concert sur plus de paramètres en même temps, c’est un plus si on le compare à la console analogique qui doit être manœuvrée manuellement.
Comment parviens tu à t’adapter à rester au contact de ces nouvelles technologies sans être dépassé ?
La mise à niveau passe par des formations, des constructeurs de console et surtout d’enceintes. Pour acquérir un savoir faire mécanique comme accrocher les enceintes d’une certaine façon, donner aux enceintes plus ou moins d’angles, les “angler” pour obtenir une restitution de son proche de la simulation effectuée sur des logiciels. Nous possédons des logiciels ordinateurs 3D, et le logiciel indique la manière dont le son va se disperser , quelles pertes on va avoir, quelles fréquences vont s’atténuer. Il faut donc savoir utiliser le logiciel, savoir l’interpréter ses résultats. La difficulté commence quand l’emplacement prévu pour les supports acoustiques est déjà occupé par la lumière, la déco ou la vidéo. Il faut savoir s’adapter négocier, se partager la place, trouver des compromis avec l’éclairagiste, plus souvent sur les one shot ou les évènementiels
Sur les grosses tournées, le problème est moins récurent, la production a souvent préparé et solutionné auparavant ces problématiques en réunion de production.
Il faut des qualités d’adaptation, et se montrer curieux pour s’intéresser aux nouveautés et ne pas hésiter à se former, lire les manuels, les notices et s’informer
Conseilles-tu cette orientation pour les jeunes ? Et pour quelles raisons ?
Naturellement, mais il faut bien mûrir son projet professionnel et savoir pourquoi on veut le faire. Ne surtout pas se laisser éblouir par le monde du spectacle, ou le faire pour approcher uniquement des gens connus uniquement le show-biz, c’est courir à l’échec, cela ne marche pas. De plus vous allez vous ennuyer, par contre si vous aimez la musique, vous passerez de bons moments.
As tu déjà envisagé de monter ta propre structure ?
Oui, je l’ai envisagé à un moment. Mais cela représente une vraie difficulté, en raison des complexités administratives.
J’ai toujours à l’esprit, l’histoire de la réussite de Potar Hurlant, deux frangins et un pote qui jouaient ensemble de la musique en montant un groupe. Ils ont décidé d’acheter du matériel pour leur usage, pour se produire. Par la suite, ils ont soutenu des groupes de musiciens en aidant à sonoriser et en prêtant leur matériel. Parmi eux, le chanteur Renaud. qui leur a offert de sonoriser ses tournées Le bouche à oreille a fait le reste et la société nouvellement créée s’est développée. Depuis, c’est Johnny, Yannick Noah; Charlélie Couture, Johnny Clegg, Bourges, le Zénith, Bercy, le Stade de France.
J’ai beaucoup de sympathie pour cette réussite qui a su conserver une ambiance familiale et son statut de petite structure.
Propos recueillis par Franck Talleux