TOUT SAVOIR SUR LE MÉTIER D'ÉDITEUR MUSICAL

Dans le cadre de la découverte des métiers dans la musique, Mamusicale a rencontré Philippe Manivet, éditeur de musique, et créateur de la maison d’édition Musigamy.

Bonjour Philippe, peux-tu nous parler de ton parcours jusqu’à aujourd’hui ?

L’histoire commence il y a bien longtemps par l’écriture. J’avais déjà cet attrait tout jeune pour la création. J’écrivais des histoires en école primaire avec un ami qui plus tard est devenu un compagnon de groupe de musique. Cela a basculé dans la musique quand j’ai assisté à un concert de « The Roots », un groupe de hip hop, j’ai pris une claque monumentale !  J’ai eu un groupe de hip hop pendant plus de 10 ans, qui s’appelait « Hip-Hop Parallèle » avec lequel j’ai appris énormément de métiers en fonction de nos besoins. Cette aventure a façonné beaucoup de choses dans ma façon d’être éditeur. J’ai passé une formation de technicien son et j’ai commencé à travailler dans un studio avec l’idée d’y faire enregistrer mon groupe sur le temps libre. Le studio a ensuite monté un label, Lyrical Lab, dans lequel je me suis impliqué d’abord à la promotion, puis sous des tas d’autres formes. Mon groupe y a rapidement signé puis j’ai dirigé le label dans ses derniers temps.

Quand on a eu besoin de faire des concerts, j’ai commencé à organiser des événements. J’ai animé aussi plusieurs émissions sur Radio Grenouille, une radio locale marseillaise. Ces activités permettaient de créer un véritable réseau. Je faisais venir des groupes de différentes villes de France puis nous  allions jouer chez eux.

En 2008, cette aventure arrivait à son terme, je suis alors monté sur Paris. C’est là que j’ai commencé à travailler dans l’édition sur de la musique de relaxation. Un de mes patrons de l’époque gérait aussi d’importants catalogues de variétés internationales. Il m’a impliqué peu à peu sur cette partie du business et c’est là que j’ai appris toute la technicité nécessaire à la gestion des droits locaux et étrangers auprès de la Sacem, la recherche des catalogues étrangers non représentés en France, ou le tracking qui consiste à vérifier les répartitions des droits et débloquer les droits qui n’ont pas retrouvé les œuvres qui les ont générées. J’ai travaillé dans ces sociétés pendant 8 ans et j’en suis arrivé il y a un an maintenant à monter ma structure, Musigamy, par envie de tracer mon propre chemin et revenir un peu à l’adrénaline du développement d’artiste.

Peux-tu nous expliquer le métier d’éditeur dans la musique ?

L’édition musicale a longtemps été un métier assez secret, qui communique à présent de plus en plus. Avec la crise du disque, différents acteurs s’intéressent de plus en plus aux droits d’auteur et il est important de défendre nos spécificités et le rôle essentiel que l’on joue.

Je décris souvent le métier d’éditeur, en utilisant la métaphore biblique de la multiplication des pains. On travaille avec des auteurs-compositeurs qui créent des œuvres mais ne savent pas vraiment comment les exploiter ni comment réussir à capitaliser sur leurs créations. On est là pour promouvoir leurs œuvres de manière suivie auprès d’utilisateurs de musique pour réussir à en générer un revenu et s’assurer de sa collecte.  Nous sommes rémunérés par un pourcentage sur les revenus de diffusion, de duplication des œuvres que nous collectons via la SACEM ou des sous-éditeurs et sur les autorisations d’utilisation que nous délivrons et facturons directement.

C’est un métier transversal dans le sens où l’on s’occupe de beaucoup de choses très différentes. Des droits d’auteurs sont générés pour chaque utilisation. Quand un artiste fait une tournée, il y a des droits d’auteur, donc je suis intéressé à ce qu’un artiste tourne, et que ses œuvres soient bien déclarées. Je suis intéressé à ce qu’un artiste signe chez un label qui va investir pour dupliquer ses disques et les promouvoir sur les plateformes de streaming de manière à ce que ça génère d’avantage des droits d’auteur. Je suis intéressé à ce qu’un artiste passe à la radio parce que ça va générer des droits d’auteur. Même les médias qui ne vont pas générer de droits directement vont servir à promouvoir cette musique, à atteindre plus de gens et les amener à venir au concert, donc donner envie à des producteurs d’investir. Il y a aussi les synchronisations sur des films ou des publicités, l’utilisation des paroles, etc… Il y a tout un réseau d’utilisateurs et de partenaires à activer en permanence afin d’ouvrir et de grossir les canaux de droits.

Quelle est donc la différence avec un producteur ou une maison de disque ?

Dans la musique il y a deux étapes. Celle de la création concerne des auteurs et des compositeurs qui vont écrire des textes et composer des musiques. Les éditeurs travaillent avec ces gens-là.

Celle de la fixation concerne les producteurs de disque qui financent les enregistrements, donc qui payent le studio, les musiciens et qui sortent les disques.

L’éditeur est une sorte de manager de l’œuvre. Par exemple un artiste que j’accompagne peut changer d’éditeur demain, je serai pour toute sa vie et même 70 ans après (la durée légale du droit d’auteur) l’éditeur des œuvres qu’il m’aura confiées. Il est de mon devoir et dans mon intérêt de continuer à les faire travailler, à les placer sur des films ou sur des reportages, ou pourquoi pas les faire chanter par d’autres artistes. Il y a des tas d’exploitations possibles. La vie de l’œuvre ne s’arrête pas à une sortie de disque.

La raison pour laquelle je me retrouve à travailler avec des interprètes, c’est que je travaille principalement avec des auteurs-compositeurs-interprètes. Dans ce cas, leur projet artistique est le premier « véhicule » des œuvres que je défends. J’ai donc tout intérêt à les aider à aller le plus loin possible pour favoriser l’exploitation des œuvres.

Quel est le cursus de formation pour être éditeur ?

Les formations sont surtout juridiques car il est beaucoup question de droit. Il y a des formations commerciales également car on est en lien avec des entreprises la plupart du temps. Il faut savoir vendre, savoir négocier un contrat et savoir de quoi on parle, quels sont les tenants et les aboutissants de nos discussions que ce soit avec un auteur ou un utilisateur de musique. Il y a des formations typiquement musicales mais à ma connaissance elles amènent autant vers la production ou vers le spectacle. Il y a les formations d’Issoudun par exemple, proche de Châteauroux, qui est en centre de formation dont pas mal de collègues éditeurs sont issus. Pour ma part, je me suis formé par la pratique et le terrain.

Existe-t-il une journée type ?

Absolument pas. L’édition, c’est de l’exploration en continue.

Ma première année a été beaucoup concentrée sur la constitution du répertoire, rencontrer les auteurs, créer les conditions nécessaires à une collaboration et commencer à préparer l’avenir avec chaque projet en auditant le passé et en définissant des objectifs. Ce travail d’échange est régulier mais prend des formes et des rythmes différents en fonction des projets.

Certaines journées sont totalement tournées vers le commercial, à aller à la rencontre d’utilisateurs de musiques, à élargir le réseau et leur faire connaitre le répertoire.

Le copyright, c’est-à-dire la rédaction des contrats, les dépôts et les réclamations auprès de la SACEM prend également pas mal de temps. Il y a aussi beaucoup de moments de rencontres et d’échanges parce qu’il y a énormément d’informations qui circulent et qu’il est important de cerner les transformations permanentes de notre métier.

Quel est l’avantage pour un artiste d’avoir un éditeur, plutôt qu’un manager ou une maison de disque ?

On est complémentaire. Le mieux pour un artiste est d’avoir une personne compétente dans chacun de ces domaines et qu’ils travaillent tous en synergie. Ce que je te disais tout à l’heure c’est que l’éditeur est engagé sur le long terme, ou plutôt sur la longueur de la vie des œuvres. Un éditeur va donc travailler sur l’exploitation des œuvres dans toute la diversité que cela comporte. Avoir un bon éditeur pour ses œuvres, c’est avoir l’assurance qu’elles sont dans de bonnes mains pour le présent et pour le futur.

On ne signe pas un contrat d’édition comme cela. Il faut prendre le temps de se découvrir, de comprendre l’œuvre, de savoir où chacun veut aller au travers de cette collaboration. Il est important pour un auteur de définir ce qu’il attend d’un éditeur.

L’éditeur est un bon premier partenaire parce que justement c’est transversal et qu’il aura plus de facilité à remplir temporairement tous les postes, mettre le projet en route, et aller lui-même chercher les différents partenaires. Un manager peut aussi être un excellent premier partenaire, tout est question de stratégie et de réseau.

En résumé je dirais que pour commencer il faut dans tous les cas quelqu’un qui n’ait pas peur de mettre les mains dans le cambouis.

Est-ce l’éditeur qui choisit l’artiste, ou l’inverse ?

Ce sont les deux. C’est un jeu de séduction mais de séduction à double sens. Forcément l’éditeur a besoin d’être convaincu par l’artiste-auteur, pour investir, et pour le défendre. On passe beaucoup de temps en aveugle sur des projets sans savoir les droits que ça va générer, donc on a besoin d’y croire pour savoir que ce temps-là est rentable, même à long terme. L’artiste a tout aussi besoin d’avoir confiance, car il cède une partie de ses droits sur une longue durée. Il faut qu’il se retrouve dans la vision qu’à l’éditeur de son œuvre et dans le chemin qu’il lui voit.

Comment découvres-tu de nouveaux artistes ?

C’est un peu particulier pour moi car je suis encore en lancement d’entreprise. Il ne faut pas que je signe trop d’artistes non plus car il faut arriver à leur consacrer du temps suffisant car j’ai toute une activité qui se met en place et cela prend du temps. Il y a d’abord des relations naturelles qui se sont installées avec des gens que je connaissais, que je suivais et dont j’apprécie la musique, comme Temenik Electric que je connais depuis 10 ans. Ils ont sorti déjà 2 albums et arrivaient à un moment où ils avaient envie de l’arrivée d’autres compétences. Avec Makja ou Mat Hours c’était un peu la même chose, je les connais depuis 10 ans et il y avait une forme de logique à travailler ensemble. Pour  Ommm, je les suivais depuis un concert il y a sept ans où ils m’avaient impressionné. J’ai vu qu’ils avaient de nouveaux projets en gestation, je les ai contactés et ça a été une super rencontre humaine, et complémentaire au niveau de leurs besoins et de mes aspirations. Un autre groupe comme Nation m’a été présenté par Kromatik qui réalise leur album et ça a matché tout de suite.

Pour résumer, j’ai trois principes, le 1er c’est que la musique me plaise, quel que soit le genre. Le 2ème est que je trouve ça valorisable. Et la 3ème chose est qu’humainement ça se passe bien. La collaboration est longue et prospérer dans la musique, c’est difficile, on peut rencontrer des tensions donc autant partir sur du bon relationnel pour anticiper les problèmes.

Quelles sont les qualités qu’un éditeur doit avoir ?

Persévérant, car il faut travailler sur la vie des œuvres. Ce n’est pas parce que l’œuvre n’a pas rencontré le succès en tant que « nouveauté » que sa vie est terminée.

Organisé, car vu que c’est très transversal et qu’on a beaucoup de choses très différentes à faire, ça peut partir à volo si on n’a pas un minimum d’organisation.

Doit-on être musicien pour faire ce métier ou pas forcément ?

Non pas forcément, je pense qu’il faut juste être amoureux de musique et amoureux des créateurs car c’est un métier très psychologique, parce que persévérance, parce qu’accompagnement, parce qu’organisation.

Combien gagne un éditeur ?

A titre personnel je n’ai rien cette année, c’est de l’investissement. C’est très variable mais je peux dire que l’édition est en général un milieu raisonnable, ce qui explique en partie sa résistance aux crises. Les sociétés d’édition sont de petites embarcations avec beaucoup de compétences au sein d’équipes assez réduite. Les salaires sont rarement mirobolants.

Merci beaucoup Philippe et on souhaite longue vie à Musigamy.

Merci à Mamusicale pour s’être intéressé à notre métier.