Mamusicale avait rencontré Dominique A dans l’euphorie du FNAC live en 2015. On l’a eu en ligne au cœur d’un été masqué, à l’occasion de la sortie de son EP « Le silence ou tout comme ».
Bonjour Dominique,
La période est bien particulière. Nous sommes le dernier jour d’un mois de vacances, qui suit une longue période d’enfermement. Vous sentez-vous libre comme un jour d’été ?
Oh oui, je me sens assez libre, je ne me sens pas enfermé. J’espère juste qu’on ne va pas devoir mettre des masques pour marcher dehors. En tout cas, dans la création, je me sens assez libre. Une espèce de paradoxe entre ce qu’on traverse. J’ai rencontré pas mal de gens qui sont soit bloqués par ce qui se passe, soit un peu galvanisés de façon un peu étrange, et je fais un peu partie de la seconde catégorie.
Comment avez-vous vécu ce silence du confiné ?
J’ai vécu ça comme tout le monde. J’étais sur Nantes, donc c’était plus facile. J’ai un cadre de vie qui est vraiment idéal pour être enfermé. Je n’ai pas vécu ça vraiment comme un enfermement. On était dans une région assez peu touchée. Il y’avait une drôle de sensation, car je connaissais quelques personnes qui étaient malades mais qui n’étaient pas sur la région. Là aussi il y’avait une espèce de paradoxe entre ce qu’on vivait et l’attentisme. On attendait que ça nous tombe dessus et c’est jamais vraiment arrivé en Loire Atlantique. Je n’ai pas grand-chose à en dire. On était plus dans l’attente. Du coup, la création était une porte de sortie pour moi. En tout cas psychologiquement, je me suis raccroché à ça, ce qui fait que je n’ai pas souffert comme certaines personnes.
J’étais aussi dans une période où moi aussi je m’étais mis en quarantaine artistique. Je n’avais pas grand-chose de prévu, donc finalement ça n’a pas bouleversé la donne pour moi.
Est-ce que ça changé votre façon de composer ?
Ça n’a pas changé ma façon de composer mais ça a réveillé certaines envies. Le fait de ne pas pouvoir faire de la musique avec des gens et me refusant à en faire par écrans interposés (de toute façon je suis très mauvais pour tout ce qui est technologies), je me suis retrouvé à jouer avec moi-même, si j’ose dire, et à rebrancher mes vieux bidules, mon 8 pistes. Ça m’a redonné envie de travailler sur des morceaux qui à la base n’étaient pas destinés à être sur un EP, diffusés de cette façon-là « semi-officielle ». Au départ, je ne savais pas ce que j’allais en faire.
Ça a commencé par une reprise de Marc SEBERG, l’Eclaircie, que j’ai fait diffuser et qui a eu un bon écho. Suite à ça, l’idée de continuer à diffuser la musique est venue. Ce qui était assez nouveau pour moi, car je suis de la vieille école et j’ai toujours besoin d’un support, d’un objet physique, pour concevoir la musique. Là je me suis dit que j’allais faire différemment et envoyer des cartes postales musicales d’un moment, sans avoir l’enjeu qu’il peut y avoir derrière la sortie d’un disque musical officiel, avec les lourdeurs que ça suppose, logistiques et psychologiques. Comme je faisais tout chez moi, ça coûtait pas un sou.
Il y’avait quelque chose de très léger qui m’a rabiboché avec une idée de la création un peu légère, alors que j’étais parti sur des choses très ambitieuses, avant le confinement, où j’étais en train de me perdre dans une création un peu complexe. Ca m’a ramené dans une forme de simplicité, dans le sens où j’étais tout seul et que je faisais avec ce que j’avais, mon matériel et mes appareils. Je sentais aussi l’envie de quelque chose de très feutré dans la musique, de très minimal et d’assez doux, avec un chant à la limite du susurrement, dans l’esprit de mes premiers enregistrements.
Avez-vous exploré de nouvelles voies que vous avez abandonné, que ce soit dans le travail d’écriture ou dans l’instrumentation ?
L’idée d’un disque fait dans d’autres conditions, en studio, avec des gens, avec une ambition, qui sera fait avec des moyens. Mais là ça me permettait de rompre avec ce truc qui commençait à me peser, de m’accorder une espèce de pause, où j’allais vers la simplicité.
Ça a relancé un peu la machine. J’écris beaucoup, j’ai pas mal de morceaux qui arrivent. J’enregistrais encore un truc tout à l’heure. Je vais continuer à diffuser des morceaux de temps à autre sur internet, sur les plateformes. L’idée sera peut-être de faire un objet, à tirage limité, compilant un peu tout ça (c’est encore à l’étude).
Là je continue, maintenant c’est un mouvement qui s’est enclenché. C’est pas juste une pause, ça a enclenché un fonctionnement.
Vous avez débuté le confinement avec une reprise de « L’éclaircie », comme un hommage à Philippe Pascal (NDLR : chanteur des groupes Marquis de Sade et Marc Seberg, décédé en septembre 2019). Pourquoi ce titre en particulier ?
Ça s’est imposé. Il n’y a pas eu de choix. Je n’avais même pas l’intention de faire quoique ce soit. C’était les premiers jours, vers le 15 mars. J’ai joué de la guitare et quelques accords qui m’ont rappelé quelque chose. Et je me suis rendu compte que c’était L’éclaircie. J’ai eu l’envie de l’enregistrer. C’est devenu comme un truc un peu nécessaire, qui m’a obsédé pendant une semaine. Parce que la version est très sobre, mais j’ai mis beaucoup de temps à arriver à faire quelque chose. J’étais vraiment obsédé par cette chanson et là il y’avait ce truc de se raccrocher à quelque chose pour vivre la période. C’était avant de commencer à faire des morceaux originaux qui ne soient pas des reprises.
En plus, j’ai une histoire un peu à long terme avec Philippe Pascal. J’ai même écrit un texte sur lui qui paraîtra à la rentrée, chez un éditeur. J’ai eu l’impression qu’en faisant cette reprise, c’était la dernière étape dans mon rapport à Philippe Pascal. C’est même pas ma chanson préférée de Marc Seberg, mais c’est celle qui me semblait la plus en phase avec ce que je ressentais.
Vous avez composé un morceau très aérien pour le décès de Christophe. En rapport avec la vie étrange. Quel est votre rapport à la maladie, à la mort, dans cette période incertaine ?
Cette chanson-là exprime de façon très minimale et synthétisait ce que je pensais. A la fois la mort de ce chanteur, qui est quand même une icône, victime de ce qu’on traversait, et cette sensation d’étrangeté un peu permanente. J’ai commencé à écrire dessus et il n’y avait pas d’autres mots qui sont venus. Ça s’arrêtait là. Plus de mots bleus, quelle vie étrange ; j’avais l’impression de dire les choses.
Je n’ai pas l’impression que mon rapport à la mort et la maladie soit modifié. Là on est dans une période incertaine. Nos repères étant bouleversés, nos façons de penser ne sont pas stables. Il y’a une inquiétude, liée pour moi par exemple à mes parents, donc ça réveille des choses, mais ça n’a pas radicalement changé mon rapport.
Je suis juste un peu anxieux d’un sentiment d’hygiénisme ambiant qui me pose problème. C’est couplé avec le rapport à la liberté. C’est une période compliquée où on est sommés de s’en remettre à des directives qui nous sont données sans vraiment de réflexion sur ce qu’on est prêts à accepter ou pas justement pour échapper à la maladie. Ça réveille plus ces questions, pas tellement sur la mort mais plus sur la liberté. Il y’a une ambiance que je trouve parfois un peu fascisante parfois dans l’information, la façon dont les ordres sont donnés. Il y’a quelque chose qui est de l’ordre de la propagande dans les médias. Je n’ai pas la TV, mais je l’ai regardée chez mes parents pendant 4 jours et j’ai été assez édifié par ce que j’entendais. Je ne nie pas la nécessité de protéger les autres, de se protéger soi-même et de faire en sorte qu’on ne se contamine pas les uns les autres, mais il y’a comme un excès de prudence qui va rendre la vie impossible à un moment.
Pourquoi seulement 4 titres ?
L’idée était de faire un EP. Comme ce sont des chansons très minimales avec un son et une façon de chanter très en retrait, pour moi ça tenait sur un format assez court. Et puis l’idée n’était pas d’arriver avec un nouvel album. Et puis j’aime bien les 4 titres, ça faisait longtemps que j’en avais pas fait. J’aime bien ce format-là.
Vous êtes au centre d’« Entretiens biographiques » avec Grégoire Laville. « Raconte-toi » chantait Yves Simon. Qu’est-ce que ça fait de se raconter ?
Alors je me suis raconté au long court, parce qu’avec Grégoire on s’est vus pas mal de fois. C’est un peu une 20 aine d’heures d’entretien. Autour de moi, les gens apprennent des choses en lisant, mais moi je n’ai pas eu l’impression que c’était si différent que d’habitude. Ce qui était sympathique, c’est le fait de pouvoir revenir sur les choses. Et puis je m’entendais bien avec Grégoire, donc c’était des moments agréables.
Mais autrement, parler de moi et de ce que je fais, je continue de le faire avec vous, c’est pas nouveau pour moi. C’est une partie de mon métier de me raconter. Cette volonté de donner, d’avoir un regard sur ce qu’on fait, sur sa vie. Après, il y’a une part de narcissisme sans doute, je ne le nie pas, je l’accepte.
Un « Solide » qui écrit « La Fragilité », c’est une définition de l’élégance à la française ?
Ça je vous laisse seule juge (rires). Solide, c’est un titre qu’a trouvé Grégoire. Au début j’étais sceptique et après je me suis dit que c’était son regard sur moi et qu’il ne m’appartenait pas de me qualifier et de dire ce que je dégage. On me pose des questions, j’y réponds et après l’interprétation de ce que j’ai dit et la façon dont les gens me perçoivent…
J’ai trouvé ça plus amusant et plus en réponse, non pas tant par rapport à « La fragilité » que par rapport à un disque comme « Remuer », que j’ai fait il y’a une 20 aine d’années. Je me suis dit « Solide », « Remué », il y a comme un petit jeu de pistes entre les épithètes. Finalement c’est un titre pour lequel j’ai donné mon accord assez rapidement.
Vous êtes mordu de BD et en êtes aussi le héros : « J’aurais voulu faire de la bande dessinée », de Philippe Dupuy. Comment s’est faite cette rencontre ?
C’est la 2eme fois, donc c’est vrai que c’est un peu troublant. Avec Philippe on se connaît depuis pas mal de temps maintenant, depuis une 15 aines d’années. On avait fait un concert dessiné ensemble à la ferme du buisson, en région parisienne. C’est lui qui a eu cette idée de faire ça. Il savait que j’aimais beaucoup la BD, il connaissait un autre musicien, Stéphane Oliva qui avait un rapport très fort à la BD. Il a eu envie d’interroger sa propre pratique de dessinateur, via le regard d’artistes qui à un moment donné auraient pu s’orienter vers son propre medium et finalement en ont choisi un autre, qui ont pris une autre direction et ont choisi la musique et mettre ça en rapport avec sa propre façon d’évoluer artistiquement.
Il est venu chez moi, il m’a fait parler pendant quelques heures et puis il en a tiré des planches et puis voilà. Je n’ai pas pris part autrement que par le biais d’une discussion à bâtons rompus.
Au départ, il devait y’avoir pas mal d’intervenants et finalement il a resserré sur deux entretiens, celui où il y avait Stéphane Oliva et le mien. C’est un honneur pour moi d’être un héros de bande dessinée car effectivement je suis un passionné de BD et je connais pas mal d’auteurs. Sur Nantes, il y’a énormément d’auteurs. La plupart sont des amis, j’étais d’ailleurs avec deux d’entre eux hier soir. Je dirais pas qu’il y’a une certaine logique à se retrouver héros d’une BD mais en tout cas ça a un sens, car je suis vraiment féru de ça.
Vous faites beaucoup de duos ou d’apparitions musicales avec d’autres artistes. Quel est votre regard sur les jeunes artistes et l’avenir de ce métier ?
Un regard sur la scène française c’est compliqué parce qu’il y a énormément de gens. Je découvre comme plein de gens pas mal de jeunes artistes qui arrivent. Mais je trouve que c’est tellement touffu que c’est impossible d’avoir un regard global, à moins de passer ses journées à écouter.
Je n’envie pas les jeunes qui arrivent aujourd’hui, parce que je trouve que c’est une situation assez épouvantable d’engorgement. C’est tellement saturé de partout, dans un contexte comme celui-ci en plus, que ça me semble être une entreprise… C’est l’amour de la musique qui doit prévaloir et rien d’autre en fait.
J’ai la sensation qu’on est en train de créer des niches. Il y’a de moins en moins de culture populaire. Les artistes vont juste essayer de se constituer un public à eux, mais ça va être difficile d’aller vers un maximum de gens, parce que la capacité de réception des gens n’est pas infinie, parce qu’il n’y a pas assez de labels pour défendre tous les artistes. A mon avis on va se diriger vers une forme de paupérisation du métier, où très peu de gens vont pouvoir en vivre. Je ne suis pas optimiste. Je trouve que c’est une période très créative, il y a énormément de choses, comparé avec mes débuts où on était peu nombreux à faire de la chanson pop en France. Aujourd’hui, ça déboule de partout, c’est une époque de profusion, donc c’est difficile d’avoir un regard global compte tenu de la multiplicité des propositions qui sont faites.
Quel est votre coup de cœur musical de l’été ?
En ce moment, j’écoute un disque d’une chanteuse anglo-pakistanaise qui s’appelle Nadine SHAH. C’est une artiste que j’aime beaucoup. Son album s’appelle « Kitchen sink », son 4ème album. C’est une femme qui a une voix un peu de prêtresse erratique, avec beaucoup d’inspiration dans l’approche musicale, dans les arrangements. C’est un album que je recommande vivement. Elle a une voix très chaude, très chaleureuse, avec une espèce de puissance contenue et des chansons qui sont arrangées de façon très originale. C’est vraiment un disque qui est long en bouche.
Et vos projets pour la rentrée ?
Continuer à faire des enregistrements à la maison et à en diffuser quelques-uns. Peut-être en faire un objet autour de ça disque mais à tirage limité, un vinyle ou quelque chose comme ça, pour la fin de l’année ; une espèce de compilation de tout ce que j’aurais fait sur cette drôle d’année.
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