(c) Gildas Secretin
Bonjour Emilie,
Merci de prendre du temps en plein mix pour Mamusicale à l’occasion de la sortie de ton double album en hommage à Lou Reed et au Velvet Underground « Run Run Run », sorti le 20 juin 2020 à l’occasion du Disquaire Day.
C’est une histoire ancienne, que tu as promenée en spectacle sur les routes de France depuis 2016, Quand as-tu ressenti le besoin de la graver dans le marbre ?
Je dirais après quand même quelques mois de cette belle aventure sur scène.
J’ai été invitée au Marathon des mots, avec cet hommage-lecture, on a tellement aimé et été tellement émus de ça qu’on a décidé d’en faire un spectacle, passé au festival Temps d’Images à ARTE, de fil en aiguille ça tourne et tout se fait avec tellement de simplicité et d’émotions qu’à la fin je me suis dit qu’il fallait une trace de ça. J’avais envie que ce soit un peu comme un scrapbook, comme un truc souvenir. C’est un peu atypique parce que généralement on sort un disque, puis on fait la tournée et les spectacles et on a fait ça à l’envers (rires).
A force de faire des spectacles, on a commencé à les enregistrer les uns après les autres, en se disant qu’on allait les garder bien au chaud et certainement que ces lives nous offriraient quelque chose. Finalement, ça a mûri en moi que la trace que je voulais laisser c’était ça. C’était ça l’aventure et que c’était cette chose là qui était magique. On a essayé de le faire en studio, mais les timing ne collaient pas, donc c’est resté un peu dans les tiroirs.
J’ai été amenée par le 104, et l’intermédiaire d’Emmanuel Tellier, artiste associé lui aussi, à rencontrer le Label December Square, à un moment où j’avais un peu abandonné l’idée de sortir ce disque. L’idée étant de faire quelque chose à part. Au départ on voulait que ce soit un livre disque, mais c’est complexe, c’est un créneau qui est un peu compliqué à caser. Ça n’a pas vraiment sa place en librairie, ça n’a pas vraiment sa place chez les disquaires. On a décidé de faire un bel objet vinyle et un CD.
On a choisi parmi les 3 dates qu’on avait faites au Mans au magnifique théâtre des Quinconces l’Espal. C’est quasiment le live d’une soirée du début à la fin.
Un scrapbook sous une forme vinyle, avec un livret deluxe de 16 pages, par un disquaire et un label indépendant. C’est ta vision de l’industrie du disque ?
Oui, je crois que c’est ma vision de l’industrie du disque, particulièrement aujourd’hui. J’entame cette histoire encore plus indépendante qu’avant puisque je suis auto-productrice, je vais produire mes disques maintenant, et je vais être accompagnée par des labels que je choisis pour la promotion et la distribution. J’ai commencé avec Fargo, ma première maison de disques, qui était un magnifique label indépendant. J’ai ensuite passé les 3 disques suivants avec Polydor, un label de chez Universal et j’ai pas du tout volonté de cracher dans la soupe parce que j’ai été accompagnée à chaque fois par une très belle équipe qui m’a écoutée et laissée faire les choses comme je l’entendais et le sentais, tout en essayant de me guider, mais ils m’ont toujours laissée libre de mes choix donc j’ai eu beaucoup de chance. Mais il y’avait quand même toujours un truc qui faisait que j’étais pas tout à fait à ma place, malgré la très belle histoire de ces 3 disques.
Je m’y retrouve plus dans l’indépendance, dans cette espèce d’artisanat de faire les choses, de reprendre la main sur les choses. Aujourd’hui les temps sont à cela pour plein de raisons. Pour des raisons éthiques, presque esthétiques et un peu politiques, de dire que je prends la main sur les choses, je fais les choses avec ce que je suis, ce qui me ressemble, je suis en contact direct avec les gens qui collaborent avec moi et je reste décisionnaire et je ne m’exclus pas des décisions à la fois économiques, commerciales, je dirige le navire, en étant très bien aiguillée par des gens qui ont le savoir-faire, mais je ne me mets pas au loin dans une tour d’ivoire en attendant que les basses choses soient faites et qui resterait dans ses considérations artistiques.
Pour Run Run Run, je suis allée à un moment presque livrer certains vinyles chez un disquaire. Cette chose là ca me plait, d’avoir ce contact très simple, très humain, très direct à ce que je crée.
« Il faut que les gens meurent pour la musique » disait Lou Reed. Cet hommage c’est une résurrection romanesque ?
(rires) Oui , on peut voir ça comme ça, c’est joli, j’aime bien. On a voulu rendre hommage à ça oui, à cette trace si forte et à ses mots aussi. Parce qu’il ne voulait plus, lui, chanter à la fin. Il voulait juste lire ses textes. C’était un immense poète, en toute modestie, et on s’est pris ça comme une gifle. Moi j’étais une amoureuse du velvet, j’aimais les plus grandes chansons de Lou Reed, je connaissais, mais cette plongée au fin fond des textes, à aller puiser dans les mots, je me suis pris la dimension poétique énorme de Lou Reed et ça a été un vrai choc et une vraie traversée, un vrai moment de vie. C’est très étrange, et c’est pour ça que ça me plaît ce que tu dis, c’est qu’il y’a une forme de résurrection.
A la fin du spectacle, quand on reçoit l’émotion des gens, les « c’était si beau », j’ai presque envie de dire que j’y suis pour rien en fait. Je me suis sentie comme un vecteur, comme un passeur. Evidemment, on a travaillé sur une forme, sur les chanter au mieux, les choisir au mieux, tisser quelque chose qui nous semblait être juste et nous ressemblait à nous, aussi. At the end of the day, à la fin de tout ça, en vrai, c’est lui qui reste, c’est ses textes. Ses chansons sont d’une puissance incroyable.
Je les ai chantées depuis 5 ans. Il s’est passé tant de choses depuis 5 ans, entre le Bataclan, les arrivées de corps de migrants sur nos plages, les dérèglements climatiques, les inquiétudes, la jeunesse qui ne sait pas ce qu’elle a comme avenir, nous, mis à mal dans notre rapport à la liberté de la musique, du rock par les attentats du Bataclan, ce qu’on traverse aujourd’hui comme crise sanitaire. A chaque fois ses textes ont résonné. Déjà j’ai la gorge serrée à chaque fois que je le joue, parce que les mots me bouleversent, l’émotion à fleur de peau, la fracture qu’il y’a en lui et en même temps la quête de lumière qu’on sent chez lui. Les avoir rejoués juste après le confinement a pris encore une autre dimension. Je trouve ça dingue que les chansons puissent avoir cette dimension profonde poétique et politique alors que c’est pas a priori des chansons engagées, comme ça. Il y’a quelque chose de profondément humain et spirituel qui émane.
Donc j’ai un peu vécu ça comme effectivement comme une résurrection, parce que j’ai eu la sensation pendant 5 ans de vivre un peu avec lui. Ce répertoire, il fait un peu partie de moi. Quand je suis dans une boutique ou un restaurant et que d’un seul coup j’entends une chanson de Lou Reed qu’on a reprise « hey c’est un peu à moi ça ! ».
Alors justement, comment as-tu composé cette « célébration » ? Elle enveloppe comme un recueillement poétique.
C’est une célébration et c’est un recueillement. C’est exactement ça, c’est les mots que j’utilise souvent. La dimension intimiste. On m’a souvent demandé « Piano, guitare, voix », Lou Reed écorché. Pour moi, la chose écorchée elle est là, elle bouillonne mais elle n’explose jamais complètement. Il y’a une place qu’on a faite pour les mots, parce qu’on voulait qu’on les entende, qu’on les lise. Et puis je voulais faire ça aussi avec mon âme à moi. J’ai été chercher des chansons pour lesquelles il y’avait une évidence pour moi. Puis, de temps en temps se décaler un peu parce qu’il y’avait une histoire à raconter, c’était vraiment la puissance de l’écriture, la recherche absolue de la simplicité et de la pureté dans l’écriture musicale et dans l’écriture verbale.
Je pense malgré l’irrévérence, la noirceur, la fracture profonde et la colère, il y’a une infinité d’amour chez lui, une puissance d’amour pour la musique, pour les gens dont il parle, pour ces âmes perdues, qui permet de se remplir. A chaque fois que je joue ce spectacle, il me remplit amoureusement, spirituellement, musicalement, profondément.
C’est aussi ce que tu as ressenti lors de ton retour sur scène au 104 en septembre ?
Ah oui, là c’était très particulier. Moi je n’ai pas interrompu une tournée pendant le confinement. J’étais en train d’écrire mon prochain disque qui va sortir dans quelques mois, donc j’étais pas comme beaucoup de mes camarades qui ont vécu cet arrêt total et de frustration. Je n’avais pas calculé que ça allait être mon 1er concert depuis ce qu’on avait traversé.
Pendant le spectacle, on est tout le temps dos aux gens. Nous on forme un cercle, on est tous assis par terre entre nous. On est au cœur d’une salle sans gradins et les enceintes sont au 4 coins de la salle. On souhaite cette intimité, c’est une espèce d’hommage et de recueillement, qui ajoute encore plus à cette émotion.
Sur les derniers morceaux, mon regard s’ouvre vers les gens. A ce moment-là, celui des saluts, de « Perfect Day », et qu’il termine par dire « Vous récolterez ce que vous sèmerez », avec infiniment de douceur, voir l’émotion des gens c’était tellement fort, de ressentir ce bouillonnement, cette ferveur contenue d’un moment où on s’est dit « waouh ça fait du bien de se retrouver ».
Les mots de Lou Reed venaient de résonner de manière dingue par rapport à notre époque à ce qu’on traversait et nos inquiétudes, ce qu’il disait était d’une puissance folle à ce moment précis.
(c) Gildas Secretin
En parlant de semer… Tu es une chanteuse très engagée, notamment en matière d’écologie. Un petit mot coquelicot à glisser à nos lecteurs ?
J’essaie d’être présente et de faire ma part, en tant que citoyenne ou artiste à qui on donne un peu plus la parole qu’à d’autres citoyens. J’ai accompagné les colibris, je suis des mouvements pour le climat et je suis donc de cet appel de Fabrice Nicolino : « Nous voulons des coquelicots ». C’est un appel pour l’arrêt des pesticides de synthèse, qui a réuni 1 135 000 signataires.
Les français sont prêts à ça. Les gens ont conscience et n’ont plus envie de se nourrir avec des produits nocifs, que les abeilles disparaissent et que la plupart des animaux, des vertébrés, des insectes, auront disparu. Mais pour ça il faut du courage et un accompagnement de l’Etat, qui prenne une vraie décision « couillue ». C’est un chemin difficile et ces décisions sont très complexes à prendre. Mais si on ne les prend pas, on va vers un monde de plus en plus noir.
Dans cet appel des coquelicots, qui se prolonge dans « Nous voulons des paysans », il faut ouvrir sa bouche et réclamer cette équité économique dans le fait de se nourrir sainement.
Alors quel message pour nos jeunes, puisque ta voix est plus entendue que d’autres ?
Tout est devant, tout est à construire. Il y’a des tonnes de choses à inventer. Il y’a déjà plein d’initiatives qui sont déjà en action et qui donnent à rêver. Je trouve ça follement excitant parce que c’est entre leurs mains de construire quelque chose que nos parents et nous-mêmes n’avons pas réussi à construire. Il va falloir être radical dans les décisions. Il va falloir s’émanciper de toutes ces choses qu’on nous a vendues comme fatales et comme indispensables et créer autre chose. Il n’y a rien de plus beau que cette révolution-là ! J’espère qu’elle se passera dans la joie, dans la paix et pas dans la violence. Mais il va falloir qu’elle ait lieu. C’est eux qui ont les clés de ça. Et ils ont beaucoup plus conscience de l’aspect vital de la situation. C’est leur avenir. Et pour l’instant leur avenir, dans le miroir, c’est noir. C’est à nous de corriger ça et à eux de s’emparer de tout ça. On peut maintenant savoir ce qui se passe autour de soi. Plus on se rapproche des mouvements citoyens, des assos, des ONG, plus on se sent citoyen et plus ça donne une certaine foi et une certaine envie. En se réfugiant dans ses peurs et ses écrans pour liker, on est dans quelque chose de morbide.
Il faut croire en demain et se rapprocher de ceux qui sont capables d’y croire aussi.
Merci beaucoup Emily. Au plaisir de te retrouver pour ton prochain album !
Emily est sur son prochain album, qui sortira en début d’été. Une tournée d’une vingtaine des dates introduira ce disque. L’album a été enregistré en Angleterre à Rockfield, avec John Parish.
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Chroniqueuse / Live report / Interviews