Durant la période de confinement, Mamusicale a échangé avec Thibaut, du groupe The Yokel. Trois ans après leur premier album, The Yokel revient avec son deuxième opus « Y ». Ce groupe lorrain formé de 8 musiciens, nous dévoile un album plus intimiste, plus profond et plus personnel.
Bonjour Thibaut, comment vis-tu ce confinement ?
Au jour le jour. C’est assez condensé. C’est la première fois en plus qu’on sort un album avec un label, #14 Records, et notre tourneur, Thomas de Pandaroux. L’album devait sortir en mai initialement et c’est vrai que c’est un peu dur car on bosse énormément depuis 2 ans. On essaie d’être positifs mais moralement c’est très difficile de voir les mauvaises nouvelles arriver les unes après les autres. C’est d’autant plus dur car l’important pour tout artiste c’est de partager sa musique sur scène avec les gens.
Cette période est-elle propice au renouvellement et aux nouvelles compositions, ou pas du tout ?
On a tourné un clip juste avant la période de confinement. Pour ma part, les premières semaines j’ai beaucoup produit en écrivant de nouveaux morceaux. Je puise essentiellement dans mes expériences personnelles, mais comme nous sommes maintenant confinés, je n’ai plus ce terrain de jeu qu’est l’extérieur pour m’inspirer. Du coup je replonge un peu le nez dans mes anciennes compositions que je retravaille.
Le groupe existe depuis 2010 formé au départ par Lucile et toi. Maintenant vous êtes 8. Était-ce un besoin de vous agrandir ou le hasard des rencontres ?
Ça a été un hasard suivi d’une envie. A Metz, on a été longtemps suivis par les associations musicales et un jour on nous a proposé une carte blanche à l’arsenal de Metz qui est une super belle salle. On était déjà 3 à ce moment-là avec un banjo qui nous avait rejoint. On s’est dit que ce serait dommage de ne profiter de cette scène qu’à 3. On a donc demandé à des copains si ça leur disait de bosser avec nous pour ce concert. On l’a d’ailleurs fait avec Louis Warynski, du chapelier fou, au violon par exemple, et d’autres musiciens. Ces personnes-là n’étaient pas disponibles pour intégrer le projet sur le long terme mais on avait ça dans la tête et on a commencé à démarcher des musiciens qui sont maintenant nos meilleurs copains. On les a surtout choisis pour leur vision de la musique et de la vie.
Pourquoi ce nom de The Yokel, car si on regarde littéralement, ça signifie rustre ?
On trouvait que ça sonnait bien. L’autre point important c’est que ce sont des gens qui ont peu d’éducation, des pecnots, des gens qui font les choses à l’arrache car elles ont besoin d’être faites, et qui sont souvent des paysans. Avec Lucile, au départ, on faisait souvent les choses à l’arrache, on était souvent en retard aux concerts, il nous manquait des instruments. On a fait beaucoup de rues au début aussi. Sans vouloir être péjoratif, on se disait qu’on était des pecnots. Ce n’est pas du tout un terme méchant pour nous, c’est plutôt tendre et sympathique.
De par votre nombre de 8 maintenant, le groupe ressemble à une start-up, comment vous vous répartissez les rôles pour les compositions ?
Je compose énormément, ainsi que Lucile. Dans ce nouvel album, seul un morceau a été composé entièrement par Damien, le banjoïste. On laisse aussi une liberté à chacun de proposer des morceaux, et si cela plait à tout le monde et qu’on arrive à en faire quelque chose, on prend. Que ce soit Lucile ou moi, on arrive déjà avec un texte et une structure de morceau, des idées aussi parfois d’arrangement. Je travaille beaucoup sur logiciel ce qui m’aide beaucoup. Éléonore, qui est au violoncelle, est un petit génie de l’écriture et quand je lui propose une mélodie, elle arrive à l’embellir, à l’arranger pour plusieurs cuivres et plusieurs cordes. C’est comme ça qu’on a travaillé sur cet album. Et pourquoi pas sur le prochain album, travailler sur des bœufs que l’on a fait tous ensemble. On ne s’interdit rien.
A quoi ressemble une journée type de The Yokel lorsque vous n’êtes pas en tournée ?
Éléonore pense souvent à ce qu’on va manger dans la journée (rires). Certains pensent à l’organisation, d’autres sont un peu plus maternels. On s’est distribué des rôles en essayant plein de schémas différents. On échange aussi beaucoup sur les concerts et les scènes à venir. On essaie de toujours faire attention aux attentes et aux envies de chacun.
Le lieu est-il important pour les compositions ?
Bien sûr, énormément. Je prends des notes sur les gens que je rencontre, les endroits où je me trouve. J’ai toujours du mal à composer sur le moment, j’ai besoin de digérer, et souvent j’ai besoin de vivre des choses ailleurs et de rencontrer des nouvelles personnes, d’avoir de nouvelles émotions. J’ai besoin ensuite d’être seul pour prendre le temps de mettre en forme tout ce qu’il y a dans ma tête.
Où puises-tu ton inspiration pour les paroles ?
Dans des livres car je lis énormément, comme Giono ou Steinbeck. Des choses très humanistes qui parlent des gens. J’ai rencontré une personne âgée dans le sud de la France et son histoire m’a tellement touchée que j’ai eu envie d’écrire « Lauze Stone » qui parle de lui, de sa vie, de celle de son frère. Ça peut aussi venir d’un film. Pour le morceau « Morgan Peak », je suis parti pendant 2 mois avec mon sac à dos et je me suis retrouvé à Serre-Ponçon, derrière Barcelonnette, et j’ai rencontré des gens qui m’ont hébergé, pour qui j’ai travaillé, et avec qui j’ai tissé des liens très forts. Ils étaient tellement généreux, ils aidaient les immigrés. On a envie de retransmettre dans un texte toute l’énergie qu’ils donnent.
Quels sont les artistes qui t’inspirent ?
Quand j’étais petit, mon père écoutait beaucoup Léo Ferré, ou Jacques Brel. C’est pour ça que j’ai beaucoup de mal à écrire en français. Par contre musicalement, je suis super fan de bluegrass et de folk. Avec une super voix, une guitare et un très beau texte, tu touches au plus profond de l’âme.
Les chansons précédentes évoquaient les grands espaces, la nature, la terre, les Hommes, quels sont les sujets abordés dans ce nouvel album « Y» ?
Ça parle énormément des choix, des séparations, des déceptions. On ose d’avantage aller dans les sujets qui nous fâchent ou des sujets plus tristes. Ça parle plus de voyage intérieur, d’introspection, et de relations humaines.
Peux-tu nous parler du prochain clip sur la chanson « Morgan Peak » ?
On a tourné ce clip à Annecy, essentiellement pour des raisons financières et logistiques, car j’ai un ami réalisateur qui habite là-bas. Il y a une surprise car ce sera un clip interactif, car comme je l’expliquais cet album est surtout basé sur les choix. Pour se rendre à Morgan Peak, l’actrice a deux chemins possibles. Je ne peux pas en dire plus. Je vous laisse découvrir le clip. Le réalisateur, Vincent Giorgetti, qui a fait ce clip est également à l’origine de nos 2 précédents.
La pochette de l’album est très originale, qui en est l’auteur ?
La pochette de l’album est de Sarah Poulain, de Superpapier, qui a fait une sculpture en carton qu’on a pris en photo. La mise en photo est de Jenny Zakrzewski. L’arbre représente un Y qui est le titre de l’album. Sur chaque branche du Y, on peut voir beaucoup de détails. Tous ces détails seront expliqués dans le livret. On y retrouve le panneau de « Morgan Peak », la valise, en lien avec la chanson « Departure ». Cette pochette est très parlante pour nous.
Quelle est votre implication sur les pochettes, les clips, les visuels en général ?
On essaie de donner une ligne directrice. On envoie le morceau aux personnes avec qui on va travailler pour qu’ils se fassent une idée, pour qu’ils ressentent les chansons. On aime bien se voir ensuite autour d’une bière pour en parler, discuter de leur ressenti, et si c’est bien en adéquation avec ce qu’on a voulu donner. C’est toujours le côté humain qui prime, et on reste dans l’idée du partage.
Es-tu plutôt festivals ou concerts ?
Les festivals c’est génial car c’est l’été, on est dehors, les gens peuvent profiter plus longtemps. Et pour l’instant on a fait plus de festivals que de concerts, et on aime ça. On est proches des gens qui se sentent plus désinhibés.
Quel est ton festival rêvé et ta scène rêvée ?
Je dirais le Festival de Dour car c’est énormissime. C’est un des plus gros en Belgique. En France, je rêverais de jouer au théâtre de la mer à Sète, le fiest’A Sète. Il y a aussi Bourges ou la Fête de l’Huma, pour ce que ça dégage et ce que ça évoque.
Quelle chanson pourrais-tu nous conseiller pendant ce confinement ?
Je dirais « Talk on indolence » de Avett Brothers.
Quel autre art t’inspire à part celui de la musique ?
La Littérature, les grands auteurs comme Steinbeck par exemple. Je n’arrive pas à savoir comment il arrive à synthétiser, à penser et à donner vie à autant de personnages. Il peint des vies et des émotions de façon incroyables.
Quelle est la cause actuelle qui te mobilise ?
Je pense qu’on est en plein dedans. Les inégalités sociales en France et même dans le monde. Dans le groupe, Éléonore et Denis surtout, sont très investis pour tout ce qui est décroissance, un retour aux choses simples. Je suis très sensible à l’écologie et aux inégalités sociales, et je pense que c’est pareil pour tous les membres du groupe.
Si votre album était un film ?
On compare souvent le groupe au film « Les valseuses » parce qu’il nous fait marrer, c’est brut de décoffrage et en même temps très poétique. Je dirai aussi « Easy Rider ». Même si la BO est complètement rock, l’idée d’être en marge de la société, de vouloir faire son truc, et de voyager, ça nous correspond bien.
Quelle est la chanson que tu aimeras toute ta vie ?
« Avec le temps » de Léo Ferré.
Quel artiste décédé te manque le plus ?
Je suis ultra fan de Townes Van Zandt, et Johnny Cash me manque aussi beaucoup.
Quelle est votre actualité dans les semaines et les mois à venir ?
Le clip de « Morgan Peak » sort le 17 juin et l’album est prévu pour le 2 octobre. On avait 30 dates de programmées et notre tourneur nous envoie au fur et à mesure les dates reprogrammées dans un an. On a de la chance que ce ne soit pas annulé, mais reporté. Les festivals qu’on devait faire cet été sont reprogrammés sur l’an prochain. Je suis quand même très inquiet pour la profession. J’ai entendu sur France Radio qu’en Allemagne, les salles ne rouvriraient que dans 18 mois.
Merci beaucoup Thibaut et on espère vous voir très bientôt sur scène.
Retrouvez toute leur actu sur Facebook Instagram theyokel.fr