Artiste franco-canadienne, Jeanne Rochette n’en est pas à son premier coup d’essai. Après un 1er album en 2010 et le 2ème en 2016, la voici avec son 3ème album « La Malhonnête ».
Ton 3ème album sort le 5 février. Ton 2ème album était plutôt intimiste alors que celui-là est plus ancré dans le présent, plus explosif, plus frontal, est-ce une révolte par rapport au monde d’aujourd’hui ?
C’est un mélange de plein de choses dans une conjoncture un peu particulière. On est tous en ébullition intérieure et personne ne peut exploser. Ce confinement créé cette chose étrange de bouillonnement. Mes 2 précédents albums étaient bien différents. Le 2ème avait des arrangements un peu plus classiques, du hautbois, des cordes. Sur celui-ci j’étais sur une énergie du live après les 1ères parties de Cali. Il y a eu un désir de retrouver cette énergie. C’est aussi sans doute l’expérience après avoir fait 2 albums.
Quels sont les thèmes que tu abordes dans cet opus ?
Le titre de l’album « La Malhonnête » évoque bien mon état d’esprit, cet état un peu punk de dire un mot pas trop sexy et un peu sombre. Je trouvais ça intéressant d’aller creuser dans ce sens car « La Malhonnête » c’est la peur en fait, c’est ce qui t’empêche de faire, ce qui t’empêche d’agir, et qui te fait retrouver tes automatismes au lieu de prendre des risques. Je voulais me sentir dans l’action et me mettre en danger comme lorsque l’on rentre dans une arène. Tout tourne un peu autour de ça, prendre le risque de blesser, prendre le risque d’aimer, de se tromper, de perdre. Je n’ai jamais de thèmes très précis et je parle aussi bien de la perte de l’enfance, de la connexion à soi, de l’amour de soi qui implique de pouvoir donner de l’amour aux autres. Quel rapport on a au monde ? Quel impact le monde a sur nous, comment on le reçoit et qu’est-ce qu’on en fait ? Dans « La Malhonnête » il y a cette dualité entre l’image qu’on projette et ce qu’on est vraiment, le côté sombre et le côté lumineux, et comment on navigue autour de ça.
Il y a une seule chanson en anglais dans l’album « Rays Of The Sun », c’était voulu ou c’est un pur hasard ?
Ce n’était pas du tout réfléchi. J’ai longtemps chanté des standards de jazz en anglais et j’aime beaucoup ça. C’est un ami, David Federmann, que j’avais rencontré sur France Inter, et avec qui j’ai collaboré sur un de ces albums, qui m’avait invitée sur un de ces projets. Il avait une commande de poème en anglais. J’ai commencé à écrire la musique et finalement j’ai gardé la chanson (rires). C’est un poème qui parle des limites et du dépassement de soi. En français le refrain signifie « je n’appartiendrai jamais à personne », avec une idée d’immensité.
Tu écris les paroles et la musique en même temps, t’est-il arrivé de t’autocensurer après relecture ?
Oui forcément, mais après j’essaie de ne pas trop le faire. Il y a des mots qui me viennent et qui me renvoient vers une émotion, car c’est l’émotion qui te guide dans l’écriture et la musique. Je pars de ça et je tire mon fil. Je dirais que ce n’est pas forcément de la censure mais on choisit une certaine manière de dire les choses. Sur certaines chansons c’est très brut de décoffrage. J’aime bien passer aussi par du second degré. Je trouve ça super chouette quand quelqu’un me dit qu’il a tout compris dans ma chanson, sans que ce soit forcément ce que j’ai voulu dire. Je livre mes chansons et j’aime bien que les gens puissent comprendre autre chose. Par exemple la chanson « Coco » parle de la psychose, et du cerveau qui dirige tout. Je ne suis pas sûr que tout le monde comprenne cette signification que j’ai voulu lui donner, et je trouve ça chouette que chacun interprète mes chansons à sa manière.
Peux-tu nous parler de la chanson « Quand je m’aime pas », ça t’arrive souvent de ne pas t’aimer ?
J’ai écrit cette phrase pendant les ateliers que j’ai faits à la SACEM avec Claude Lemesle, pour qui j’ai un énorme respect. L’idée était d’avoir dans la même phrase, je m’aime et je m’aime pas, et de se dire je m’aime pas quand je m’aime pas. Mais heureusement il y a plein de moments où je m’aime. Car si on est tout le temps dans le doute, dans le désamour, dans la remise en question, c’est invivable. Je ne sais pas ce qui donne ces carences, ces blessures, ces idées narcissiques profondes qui font que c’est dur pour certain d’avancer, mais c’est une vraie chance de s’accepter avec ses failles, ses défauts, son bagage familial, personnel, affectif, ses lâchetés. En fait le titre est une ode à s’aimer et à s’accepter.
Tu es également comédienne, tu as fait des stages de jazz, tu as fait des opérettes, tu es passée par le cirque, tu as une grande passion pour le baroque. Avec toutes ces expériences, comment et pourquoi avoir choisi la chanson ?
La vie te mène vers des choses que tu n’as pas forcément prévues. J’ai toujours été curieuse de plein de choses, et c’est encore le cas. J’ai toujours fait de la musique ; je chantais avec mon père avant d’intégrer la chorale de l’école. Le chant était naturel, instinctif. J’ai aussi toujours aimé le théâtre et je suis toujours autant passionnée aujourd’hui. J’ai passé tous les concours nationaux, sans en réussir un seul et je me suis retrouvé à 25 ans à réfléchir à ce que j’allais faire puisque je n’avais pas le cursus « normal » d’école. J’ai donc décidé de partir au Québec pour faire du chant. J’y suis restée environ 10 ans où j’ai écrit mes chansons, j’ai travaillé comme musicienne, j’ai jammé énormément en jazz car j’avais cette culture musicale. J’ai très vite rencontré des musiciens, et la musique s’est imposée naturellement. Quand je suis revenue à Paris il y a 5 ans, j’ai réalisé qu’il fallait que je développe mon côté comédienne. J’ai fait une formation pour me remettre le pied à l’étrier, pour pouvoir passer des auditions et des castings. Je sais que je ne jouerai jamais une jeune première mais le jeu est revenu et j’en suis très heureuse car ça vient nourrir autre chose que la musique.
Justement, par rapport à toutes ces expériences, as-tu déjà imaginé une création complètement nouvelle, mêlant tous ces arts ?
C’est un truc d’enfance justement. J’ai rencontré James Thierrée à Montréal. J’avais vu ses spectacles à Paris, et ce fut une rencontre humaine et artistique absolument magnifique. Il y a une dimension très enfantine dans les spectacles de James avec toute son expertise, et j’aime cette idée de no limit. Je ne veux surtout pas me limiter non plus. Sur scène, je me sens plus dans l’énergie de Catherine Ringer. J’ai envie de faire vivre aux gens une expérience tant visuelle que musicale ou théâtrale. Je ne veux pas faire une comédie musicale, mais je cherche. J’aime brouiller les pistes et modifier les codes. Je veux simplement m’amuser. Je veux faire taire les peurs et être dans la création, mais c’est long. L’essentiel c’est de faire, et c’est justement la discussion que j’ai eu avec James, avancer les pions petit à petit et voir où ça nous mène.
Dans une interview, tu as évoqué la chanson « Les gens qui doutent » d’Anne Sylvestre, penses-tu qu’il faille douter pour s’améliorer ?
Je crois sincèrement que tous les artistes doutent, ou beaucoup du moins. Mais le doute ne doit pas être omniprésent et prendre la majeure partie de la place. Il faut douter pour pouvoir se remettre en question sur des choses, pour pouvoir avoir un œil critique sur ce qu’on fait. Mais il faut avoir une certaine force de conviction pour assumer. C’est comme ce que disait Brené Brown dans une conférence sur le courage et la vulnérabilité. Pour résumé elle dit « si vous allez dans l’arène, vous allez vous planter, mais dans ce plantage vous allez connaître l’extase, vous allez avoir des fulgurances et des moments magnifiques ». Ce sont ces moments-là qui me motivent. Elle dit aussi, « je me lève le matin en choisissant le courage au confort ».
Quelle est pour toi la plus belle chanson d’amour ?
Pour moi c’est l’hymne à l’amour, j’adore cette chanson.
Quels gestes ferais-tu pour sauver la planète ?
J’ai toujours senti ça dans ma vie, et encore plus actuellement. J’ai toujours enseigné, j’ai fait des ateliers, j’ai organisé des stages, j’aime faire du bien aux gens. J’aime me sentir utile, j’aime transmettre. Pour moi c’est une manière d’améliorer les choses, que les gens soient à l’écoute d’eux-mêmes et des autres, et qu’on soit plus dans l’empathie les uns envers les autres. J’ai l’impression que cette notion de partages et d’échanges, de laisser tomber nos défenses, est très importante. Si on est dans cette démarche-là entre nous en tant qu’êtres humains, on peut faire beaucoup pour la planète. J’ai la double nationalité maintenant et je vois bien la différence de vision entre les deux pays. Il y a une conscience collective très importante au Québec que j’aime beaucoup. En France, il y a une envie, mais j’ai l’impression qu’on est empêché par plein de choses. Il nous manque peut-être de la spontanéité.
Si tu avais le pouvoir de ressusciter un artiste mort ce serait qui ?
Jeanne Moreau. Je ne l’ai jamais rencontrée et je suis super admirative de son travail, de son métier, et de la façon dont elle a mené sa carrière. Chaque entrevue d’elle est une leçon pour moi. C’est un vrai regret de ne l’avoir jamais croisée.
Si tu devais offrir un album à un ami, ce serait lequel ?
Ca dépend quel ami, mais je ne pense pas beaucoup me tromper en offrant les « Variations Goldberg » jouées par Glen Gould. Et j’adore l’album d’Higelin « 82 ».
Quel est ton principal trait de caractère ?
Je dirais la curiosité.
Quelle chanson mythique aurais-tu aimé avoir écrite ?
La première qui me vient à l’esprit c’est « La quête » de Jacques Brel.
Quelle est la suite ?
L’album sort le 5 février. Le clip de « Quand je m’aime pas » est déjà sorti, et il est prévu que je joue le 15 avril 2021 aux trois baudets.