Des actrices X sur Spotify, un rappeur sur Youporn qui prend son casting par derrière, une actrice X qui traite la crédibilité musicale comme DSK ses femmes de ménage, du sexe en mode doggystyle dans un clip de rock indie et du Hip-Hop dans un film de boules new wave : la complicité entre le X et la musique est grandissante et l’accointance entre ces deux savoir-faire n’a plus rien à envier à celle qui mène du mannequinat à la musique. Retour sur ce phénomène d’interpénétration entre le cinéma porno et le son.
Le début du clip Dancing Anymore de Is Tropical a tout d’une scène porno des plus conventionnelles qui appartiendrait à la catégorie MILF des crémeries habituelles. Un ado, les cheveux gominés par le hasard, intimidé par la dame qui a fait appel à lui se voit demander de nettoyer la piscine. Dès lors la chasteté et l’angélisme brillent par leur profond absentéisme, et on vit les délires onaniques extravagants qu’on imagine librement inspirés par ses recherches sur Youporn, d’un ado aussi branleur que créatif.
Clip porno à vendre
La vidéo a été censurée sur Youtube après une poignée d’heures seulement et quelques dizaines de milliers de vues, mais le succès est quand même au rendez-vous puisque sur le site officiel de Kitsuné, on se félicite que la vidéo ait atteint le million de vues sur Vimeo. Sur la scène des Eurockéennes le 7 juillet dernier à Belfort, entre deux prestations pour le moins perfectibles, Is Tropical jouaient sur la popularité de leur bébé « vous avez vu notre clip, il est déjanté hein ? » et prévenaient « le prochain sera encore plus sexy » comme un argument de vente et une promesse de performance.
Le prochain ? Il s’agissait du clip de Lover’s cave pour lequel les Londoniens du label Kitsuné ont choisi de mettre en scène le clip dans une orgie. Au programme : soirée libertine, culs géométriques, sexe, danse et corps dénudés rapprochés. La température y est plus torride que tropicale et on se joindrait volontiers à cette jolie ambiance hippie offerte par le cinéaste et photographe underground Richard Kern. De quoi surfer sur cette mode qui consiste désormais à faire tomber le soutien-gorge et le reste. Si le clip de Dancing Anymore avait fait l’objet d’une pétition pour dénoncer le caractère sexiste du clip, pas sûr que Lover’s Cave sonne comme une réconciliation avec les défenseurs des droits des femmes.
Dans les années 50, le seul déhanché provocant du King suffisait à offusquer ces dames, allant même jusqu’à entraîner une censure d’un de ses livres : sa performance Ed Sullivan Show en 1957 n’est filmée qu’à partir de la taille pour éviter de montrer son déhanché du bassin qui lui a donné le surnom de Elvis The Pelvis. Aujourd’hui, l’omniprésence du cul dans nos sociétés fait que pour se démarquer des bimbos aux gros seins dans les clips de rap game devenues consensuelles, il faut prendre Lara Croft par derrière (à 3’49 » dans Dancing Anymore), faire un cuni à une poupée géante en 3D (4’07 ») et se faire sucer à la proue d’un bateau par une délicieuse brunette tout droit sortie des songes érotico-compulsifs d’un ado en pétulance (4’14 »). « That escalated quickly », observerait Roy Burgundi.
La saveur de l’interdit
« Les références sexuelles des clips agiraient comme « des ficelles inconscientes poussant à la consommation ».
Is Tropical mais aussi Madonna, Rihanna, Shy’m, Brodinski et plus récemment Justin Timberlake et Robin Thicke, nombreux sont les artistes à avoir été victimes de l’inhumaine politique anti-téton de Youtube. La censure sur YouTube devient gage de polémique à tel point que la victime se transforme en bénéficiaire. A l’ère de la course au buzz, on se doute que cette censure est recherchée par les artistes. Les vertus commerciales des clips à caractère sexuel ne sont plus à prouver, les références sexuelles agiraient comme « des ficelles inconscientes poussant à la consommation » selon un rapport publié en 2011 par l’université de New York qui étudie l’influence des références sexuelles sur la musique actuelle, mais celles de la censure sur Youtube, ou anciennement MTV (robinet à clips de l’époque) sont également indéniables tant elles offrent une publicité vicieuse et gratuite. La récente censure du nouveau clip de Justin Timberlake Tunnel Vision a fait tweeter à d’innombrables fans le sentiment d’injustice tyrannique qu’ils ressentent.
L’interdit donne de la saveur et éveille la curiosité : Un effet pervers de la censure qui selon Yves Levers dans son Dictionnaire de la censure au Quebec « a toujours été de fixer l’attention sur un produit culturel et de le transformer en aimant qui attire plus que la jeunesse. Si la condamnation d’un film ou d’un livre en éloigne quelques fidèles, elle a généralement pour effet de lui fournir un public qui ne s’y serait probablement pas intéressé. » C’est en suivant ce même raisonnement que dans les années 60, certaines agences de publicité n’hésitaient pas à mettre en avant la mention « À proscrire » donnée par le National Catholic Office for Motion Pictures, une organisation chargée d’identifier et de combattre les œuvres inacceptables du point de vue de l’Eglise catholique. Frederico Fellini qui dans La dolce vita souligne en 1960 avec une sensualité toute particulière les courbes d’Anita Ekberg, a profité de cette mention « À proscrire » pour gagner en popularité. Résultat, pendant que certains regrettaient l’image déplorable que cela reflétait de l’Italie, La Dolce Vita devient le plus gros succès de l’histoire du cinéma italien, et obtient la Palme d’or à Cannes la même année.
Sexy Girl, 4e place du top 50
La complicité entre le sexe et la musique née de ces clips à caractère fortement érotique est aujourd’hui telle que certaines stars du X se voient offrir des apparitions dans les clips. Sasha Grey, la plus délicieuse hardeuse que le X américain ait connu a tenu le rôle de l’héroïne du clip Space Bound de Eminem. La performance de The Anal Queen, comme on la surnomme dans le milieu, a été visionnée par plus de 90 millions d’admirateurs sur Youtube qui ont pu se délecter de son regard qui récite la pénétration annale et son sourire à faire griffonner des alexandrins érotiques à Ribery. Son ex-collègue, Jessie Andrews, dont la gueule d’ange innocent sied à la catégorie teen des sites spécialisés s’est, elle, montrée faisant la fête dans le clip Decisions du DJ israélien Borgore alors que certaines de ses consoeurs n’hésitent pas à troquer les bites pour des micros et des refrains niais que rien ne saurait justifier. C’est le cas de Julia Channel qui, après une centaine de films pornos, s’y est essayée avec un résultat catastrophique et une crédibilité musicale proche du néant.
Un exemple remarqué en revanche est celui de Clara Morgane qui après avoir tourné six films pornographiques, s’est lancée avec un succès convenable en terme de vente dans le R’n’b, hissant son tube Sexy Girl jusqu’à la quatrième place du top 50 polluant un peu plus nos ondes radio mais surtout délaissant le porno français d’un de ses patrimoines majeurs et renvoyant à leurs VHS quelques millions de français autrefois sensibles à ses gangbang filmés au cap d’Agde. Que celui qui n’a pas vu La collectionneuse (Fred Coppula, 2001) sorte de la lecture de cette médiation érotico-musicale.
Devons-nous nous lamenter de voir des musiciens, aussi talentueux soient-ils, condamnés à mettre en scène des actrices sulfureuses ou des images de cul pour accéder à plus de visibilité médiatique ? Peut-être pas, si Balzac affirmait que « Parler d’amour, c’est faire l’amour ». A quoi bon se contenter d’en parler dans ce cas ? Il serait malhonnête d’affirmer que les scènes érotiques du clip de Is Tropical ne siéent pas à leur rock éthéré propice à la sensualité, entremêlant astucieusement douceurs euphoriques et poésie nostalgique. Et puis quel outré au raisonnement christine-boutinien oserait affirmer que la sublime brunette au charme trouble, Emily Ratajkowski venue d’un pays inconnu où le porn, la simplicité, la grâce et des seins parfaits se mélangent à l’infini, aurait mieux fait d’être habillée d’autre chose que d’un string dans le clip Blurred Lines de Robin Thicke ? Depuis, d’ailleurs, la miss est devenue un Ange chez Victoria’s Secret et ne s’habille pas beaucoup plus.
Le Diary of a Pimp de Snoop Dogg
C’est Catherine Ringer, la membre des Rita Mitsuko, la « pute » selon Gainsbourg, « l’aventureuse moderne » selon elle-même qui a été la première à emprunter l’invraisemblable passerelle entre le X et la chanson. Après une vingtaine de films pornos entre 1976 et 1982, l’interprète de Marcelle, Monique, Angela, Martine et d’autres prénoms chantant l’érotisme français d’autrefois et le porno périmé d’aujourd’hui se lance avec le succès qu’on lui connaît dans la chanson. A croire que les histoires de cul finissent bien, en général.
« J’ai apporté un nouveau style au tournage et à la musique du monde du porno… J’ai changé les règles du jeu. » – Snoop Lion.
Et ce n’est pas Snoop Lion, anciennement Snoop Dogg, le récent converti au mouvement rastafari qui dira le contraire. Son nom n’évoque pas spontanément des gangbangs à Phuket mais il est bien connu de l’industrie pornographique. La logique veut que le passage se fasse du X vers la chanson pour donner lieu à une promotion dans l’échelle sociale. Le gangsta rappeur aux expériences si abondantes qu’il pourrait concurrencer une série de livres pour enfant bien connue (Snoop Dogg fait du rap, Snoop Dogg écrit un livre pour enfants, Snoop Dogg rencontre un shaman, Snoop Dogg fait de la reggae) va prendre le contre-pied de cette règle. Après quelques 90 millions d’albums vendus et une notoriété rarement égalée dans le rap game, il se lance dans la production de films pornographiques et en réalise deux : Snoop Dogg’s Doggystyle en 2001 qui mêle plus ou moins habilement porno classique et musique hip hop et Snoop Dogg’s Hustlaz : Diary of a Pimp l’année suivante où il met en scène sa vie privée très borderline dans sa villa de Los Angeles et dans lequel il apparaît… pour tester le casting.
Si les conversions de Clara Morgane et Catherine Ringer dans la chanson peuvent être considérées comme un succès d’une manière ou d’une autre. Le chemin inverse effectué par le neo-rastafari engendre une révolution du genre, si l’on se fie à l’opinion du principal intéressé. « J’ai gagné quatre prix récompensant des films pour adultes, j’ai fait des records de ventes de vidéos, j’ai apporté un nouveau style au tournage et à la musique du monde du porno… J’ai changé les règles du jeu » déclare-t-il au magazine américain The Stool Pigeon le 17 Novembre 2001.
En réalité, on ne peut pas vraiment parler de révolution mais d’un coup marketing assez réussi. Si le film reprend tous les poncifs des films X, c’est bien la curiosité des fans de voir Tha Doggfather dans une production de ce genre qui lui a donné le succès qu’il a eu.
La complicité entre le Porn et la musique n’agit cependant pas toujours comme un profit pour l’un ou pour l’autre. La preuve en est Liza Monet, ce dangereux mélange entre Booba, Kenza Farah et Tori Black. La demoiselle s’est essayée, avec plus de perte que de fracas, au porno en musique avec My Best Plan (2012). La finesse d’un gonzo avec le pire du R’n’b, le refrain tape les oreilles : « Quand il me demande de le sucer, j’lui lèche le gland » et permet de se rendre compte que le porno investit aussi les paroles des chansons.
Quant aux musiques qui accompagnent les films de boules : brave, maso, ou siphonné du cul est celui qui en fait l’écoute en dehors de son contexte. Les illustrations sonores catastrophiques à base de jazz-lounge groovy pourri des années 80 ont d’ailleurs fini par disparaître puisque dans les bandes son standard des productions industrielles d’aujourd’hui destinées à Pornhub, c’est souvent pas de musique du tout, ou au mieux la musique balancée en direct de la chaine Hi-Fi des protagonistes. Aficionados des sonorités groovy signées Raoul Vulve ou du saxophone cheap de Klaus Harmony, passez votre chemin.