Bonjour David, on te retrouve à l’occasion de ton tout 1er album « Ceux qui dorment dans la poussière », sorti le 25 mai. 13 questions pour la superstition.
La mort comme fil conducteur de cet album. La mort, mais dans tous ses états. Un album exploratoire ?
C’est un hommage en fait, une filiation, une transmission entre ceux qui étaient là avant nous ceux qui sont là et ceux qui seront là après. C’est ça que j’ai voulu traverser à travers cet album. C’est célébrer la vie, tout simplement ; la mémoire de ceux qui ne sont plus là et l’amour de ceux qui sont là.
Un sujet que tu abordes avec humour et poésie, comme sur ces chantés parlés. L’influence de tes premières amours, le théâtre, la mise en scène ?
C’est un ensemble. On est une somme, on est pluriel. De tous ces parcours dans ma vie, que ce soit le théâtre, l’écriture (j’écrivais de la poésie), la musique (j’en ai toujours fait depuis que je suis petit), il y’a une forme de digestion. En enregistrant le disque, je me suis senti très libre. Il y’avait plein de choses qui n’étaient pas prévues et j’ai suivi mes instincts, bien que la chose ait été travaillée avant, et j’ai utilisé toutes les facettes qui font ce que je suis.
Un premier album mais pourtant empreint de maturité … tu composes depuis quand ?
Ça va faire une dizaine d’années que j’écris vraiment de façon plus active. Et sinon à 13 ans j’écrivais des chansons mais j’espère qu’elles ne sortiront jamais ! (Rires).
Des instrumentaux travaillés sur des titres longs. De qui t’es-tu entouré pour les orchestrations ?
En fait j’ai composé le thème et puis j’ai enrichi. Par exemple sur Kaddish c’est inspiré d’une prière pour les morts. J’ai travaillé ça avec une violoniste, Fanny Castaing, qui joue dessus et sur 26.09. Il y’a aussi un accordéon, qu’on ne reconnaît pas, qui est Alexis Kune. Il y’a des programmations de Ian Caple, la batterie de Martyn Barcker qui est un percussionniste qui vit en Angleterre ou Vincent Polycarpe. Dans l’album il y’a plusieurs musiciens avec qui j’ai collaboré comme Jérôme Goldet à la basse, qui a fait aussi un peu de guitare. Il y’a Matthieu Chedid qui est venu jouer un peu de guitare et qui chante aussi un duo avec moi. Il y a Samuel Maquin qui a joué de la clarinette sur Love songs. J’aime beaucoup son jeu de clarinette.
Un « Kaddish », juste après le blasphème de « Juré craché sur vos tombes ». Une bible dans ton clip. Ton rapport à la religion ?
J’ai grandi dedans, donc c’est une partie intégrante de moi. J’ai aussi fréquenté une école religieuse. Ce qui m’a marqué dans cet apprentissage, c’est que je me sens religieux mais au sens de religare : lier les gens entre eux. Je me sens relié aux autres, je crois en l’Homme, l’Homme avec une grande hache. Quelque chose qui m’a marqué quand j’étais gamin ; on étudiait la bible et le professeur pose cette question : dans quel temps vivons-nous ? Le passé est déjà passé, le présent est en train de passer et le futur n’est pas encore là. Je devais avoir 7 ans et ça m’a fait une sorte de déclic, un chaos dans la tête. Mon rapport à la religion c’est plus un rapport à la philosophie qu’à la religion elle-même.
Il y a des histoires très intimes et les morceaux ne s’enchaînent pas par hasard mais ce serait trop impudique de tout révéler. Cette scène d’ouverture qui commence par « Les morts ressusciteront ils se relèveront ils se réveilleront avec des chants de joie ceux qui dorment dans la poussière », ça c’est en fait une inscription que je vois depuis que j’ai 11 ans au-dessus de l’entrée du cimetière où est enterré mon père. Et depuis que j’ai 11 ans ceux qui dorment dans la poussière m’obsèdent. Je ne savais pas si j’allais en faire une chanson ou une pièce et finalement c’est cet album. Et donc on assiste à une première chanson qui est un suicide, une prière. C’est une façon de commencer à raconter cette histoire.
« 2609 ». Quand on regarde, en 1983, Stanislav Petrov a évité la Guerre Nucléaire. Mais c’est sans doute un autre message derrière ce titre sans paroles avec ce cœur qui bat si fort. Lequel ?
Eh ben c’est pour lui ! (rires). Non, c’est une date. C’est le jour de la mort de mon père. D’ailleurs ce morceau, c’est un instrumental qui débouche sur « Et que rien ne m’éveille », qui est la chanson pour mon père dans cet album. Dans 26.09 il y a aussi, et c’est pour ça que je parle du passage à la vie, si on est très attentifs, on peut entendre à un certain moment un cri, qui est le premier cri de mon fils à sa naissance. C’est au départ une chanson hommage à quelqu’un qui n’est plus et puis c’est une transmission. Et ensuite avec les cordes de « Et que rien ne m’éveille », on arrive dans quelque chose de beaucoup plus solaire, où c’est un hommage mais pas un hommage triste. C’est la vie qui suit son cours.
« Papillons bleus », un très joli duo avec M. Ses guitares sur « Juré craché sur vos tombes ». Tes compos sur « Lamomali », tes 1ères parties. Peux-tu nous parler de cette rencontre musicale et amicale ? Comment se sont croisés vos univers ?
Sur « Papillons Bleus » il joue de la guitare électrique avec un archet. Ça fait des textures étranges.
J’ai écrit et composé pour « Lamomali » et j’ai écrit pour « Lettre infinie ».
On a été amenés à se rencontrer parce que nos femmes sont très amies. Ça s’est fait assez rapidement à l’anniversaire de sa femme, on s’est mis à jouer une chanson pour son anniversaire. Ça a été pour moi comme une fulgurance et je crois que c’était réciproque. T’as l’impression d’être avec un copain, t’as 16 ans et tu t’amuses à faire de la musique et c’est fluide…et c’était ça. C’est très agréable de travailler avec lui
Tu as beaucoup composé pour les autres (Sylvie Vartan, Arthur H…). Quelles sensations de passer de l’homme qui passe de l’ombre à la lumière ?
Il fait plus chaud ! (Rires). Hum… j’aime pas trop le soleil. Ça fait… c’est intéressant comme question… en fait je ne prendrais pas cette opposition ombre et lumière. J’ai toujours voulu, et ça a mis du temps, sortir un 1er disque. Avant, j’ai quand même joué au théâtre, donc j’ai toujours eu un rapport à la scène malgré tout. C’est surtout l’aboutissement de parvenir enfin à avoir ce qu’on veut présenter. C’est ça le plus compliqué au début quand on commence. Je ne connaissais personne dans le métier, solitaire à faire mon truc. Et quand t’écoutes l’album tu te rends compte qu’il faut du monde et puis il faut rencontrer des belles personnes, des personnes qui te correspondent pour réussir à faire ta musique et ça c’est long. Ensuite c’est plus le temps qui m’a fallu à présenter tout ça. Donc c’est pas tant le passage de l’ombre à la lumière, en fait c’est une continuité. Mais le fait de jouer et d’avoir un public et de pouvoir leur présenter ça, ça fait chaud au cœur, c’est d’une intensité rare, c’est fabuleux.
Comment vis-tu la comparaison à Gainsbourg ?
J’espère qu’il la vit bien ! Alors ce qui est drôle c’est qu’au tout début quand j’écrivais des chansons et que je commençais à les chanter on m’a parlé de Gainsbourg mais je ne connaissais pas bien. J’étais fan de Brel et de Ferré. Quand j’ai écouté, j’ai compris. Au début ça m’a un peu bloqué et perturbé, je me suis dit qu’on allait penser que je copiais alors que je ne connaissais pas ! Et ensuite je me suis dit que j’avais de la chance, comme quand on dit que ça fait penser à Baschung. Aujourd’hui je le vis bien. Ce qui est drôle avec Gainsbourg c’est que je fêtais mes 10 ans et tout le monde à la radio parlait de sa mort 2 jours plus tôt. Ce soir-là je ne dormais pas à la maison j’allais chez une amie parce que mon père était malade et d’entendre sa mort ça m’a vraiment marqué alors qu’en tant qu’enfant de 10 ans je ne connaissais pas. Je sentais juste qu’il était important, comme mon père m’est important et il était malade au même moment. Ce fut ma première rencontre avec Serge Gainsbourg. Ensuite ça a été à mon cours de théâtre. Je jouais Chopin et on m’a dit : c’est Jane B, la chanson de Gainsbourg. Alors là je l’ai détesté parce que j’étais un grand fan de Chopin et je trouvais qu’on ne pouvait pas reprendre comme ça Chopin, pour moi c’était sacré. Ça commençait mal… et puis après tu te mets à chanter et on te dit que tu fais penser à Gainsbourg. C’est fou parce que j’ai même été amené, en écrivant pour un ami qui joue dans un cabaret à visiter sa maison. J’ai appris ensuite à connaître son œuvre et je trouve qu’il est juste incroyable, c’est un grand génie de la chanson. J’ai rencontré son fils, Lulu, que j’adore, avec qui on a fait un co-plateau d’ailleurs. Lui-même m’a dit un jour où on jouait pour un événement à Cannes, à un moment où je jouais et qu’il m’entendait d’une terrasse « C’est drôle, parfois j’ai l’impression d’entendre papa ». C’est très troublant.
Voilà cette histoire avec Gainsbourg qui est assez étonnante. C’est drôle parce que je vis en Suisse, je grandis là-bas et tu te dis qu’il y’a très peu de chances de te retrouver à Paris. J’écoutais beaucoup Higelin et Arthur H, et te retrouver à travailler avec eux, de faire des premières parties, de travailler avec Matthieu, rencontrer Lulu… c’est dur à y croire. Tu te dis qu’il n’y a pas que du hasard c’est pas possible. Je ne sais pas comment les astres s’organisent mais c’est assez troublant.
Un très bel hommage à ton papa avec que « Et que rien ne m’éveille », la pochette et le clip. Ton plus beau souvenir avec lui ?
C’est drôle parce que c’est un souvenir quand il était déjà plus là. A sa mort, le piano donnait sur un petit jardin. Après l’enterrement je me suis mis à jouer au piano. J’avais 11 ans. Je sens comme une présence. Je regarde à droite dans le jardin et je le vois qui me regarde, avec sa chemise en soie rouge. Il me regarde, il me sourit et il s’éloigne dans le jardin, paisiblement, alors que je l’avais plus vu en forme comme ça depuis longtemps. Et je l’ai vu vraiment comme on se voit là. Ça m’a apaisé immédiatement de le voir aller bien. Et il est parti. C’est un des plus beaux souvenirs que j’ai avec lui, qu’il soit passé me voir après pour s’en aller.
Pour parler de tes clips… c’est toi qui imagine le scénario ? C’est quoi cette main en plastique un peu flippante qu’on y retrouve ?
C’est une main de mannequin. J’aime les mains. Je trouve qu’elle a une main très fine. Je ne sais pas de quand elle date. Je me demande combien de personnes l’ont prise dans la main, d’où elle vient. J’adore les objets qui me racontent une histoire. Cette main fait partie de ma vie. C’est la mienne. Je l’ai vue chez un brocanteur et elle m’a fait de l’œil. Et quand une main te fait de l’œil tu la prends. C’est des choses que j’ai chez moi et j’avais envie de mettre des empreintes personnelles. Peut-être qu’un jour cette main elle va disparaître mais elle aura fait partie de ma vie pendant longtemps. C’est comme des empreintes d’un moment de vie.
Pour le scénario, ça se fait avec le réalisateur. Pour « Juré craché sur vos tombes », on avait une envie d’esprit un peu Far West et j’avais envie de me suicider au couteau, je le fais souvent, et ça s’est fait ensemble. On a pas mal improvisé sur le tournage. On a d’ailleurs bien galéré pour trouver une voiture mais on s’est bien marrés. On est partis au Maroc. Et pour « Et que rien ne m’éveille », c’est plus un conte, une fable, ça parait presque irréel, on ne comprend pas ce qui se passe, ce chant, cette nature, ce batteur. Ce dont j’avais envie c’est de regarder le batteur en partant et c’est ce souvenir que je racontais de mon père. C’est comme si j’avais joué ce qu’il a fait, pris son rôle. Et puis il y’a le style 60, la batterie, ça c’était les 40 ans de mon père. Ce sont des petits indices autobiographiques.
Est-ce que c’est vraiment efficace d’affûter son couteau contre une roue de voiture ?
C’était une suggestion du réalisateur mais je trouvais ça marrant, ce côté un peu absurde du gars qui va tailler son couteau où qu’il peut dès qu’il peut. Je ne sais pas si c’st très efficace mais vu la manière dont je me jette sur le couteau, je ne vois même pas l’intérêt de l’avoir aiguisé. Mais je ne voulais vraiment pas qu’il rate son ptit coup. Je pense que je n’ai pas raté ma mort.
Quelles sont les prochaines actus d’un clown pas si triste ?
En septembre on a un nouveau clip qui sort « Papillon bleu », réalisé par Axel Courtière, produit par Apache et ça va être complètement fou. J’adore ce réalisateur aussi. C’est avec Lambert Wilson, Dominique Blanc. Ça va être complètement dément. J’arrivais pas à y croire d’avoir un truc comme ça.
Je reprends à la Maison de la Poésie ce spectacle que je donne avec concert et lecture en octobre novembre et décembre. Et a priori un début de tournée en janvier 2020.
Retrouvez toute son actu sur davidassaraf.com Crédit photo : Yann Orhan
Chroniqueuse / Live report / Interviews