Apaisée, heureuse. La musicienne Clara Luciani est venue présenter son premier EP « Monstre d’amour », co-réalisé avec Benjamin Lebeau (The Shoes) et Sage. Une page sombre de sa vie, non moins écrite avec le cœur. Entretien.
Comment va la vie ?
Je vais bien. Je reviens du festival This Is Not A Love Song, où j’ai passé un très bon moment !
Tu viens du Sud, du côté de Marseille…
En fait, je me permets une approche un peu plus locale : je viens de Septème-les-Vallons, un petit patelin entre Marseille et Aix-en-Provence. Assez méconnu oui, mais c’est la ville de Zinédine Zidane ! *rires*
Tu es donc née là-bas… mais ta musique ?
Aussi en quelque sorte. Même toute jeune, je commençais à écrire des morceaux, des parcelles d’arrangements. Ma musique a indéniablement grandit et mûrie au soleil.
Cette carrure que tu portes, ce phrasé, ce ton si particulier…je pense immédiatement à la chanteuse Nico. Tu fais aussi partie de cette génération bâtie dans le Velvet Underground ?
Totalement. Ma première fois avec le Velvet, c’était dans un bus en route pour le collège. Un mec m’a fait écouter le morceau « I’ll be your mirror ». J’ai tout de suite été frappée par la voix suave de Nico. Pendant mon adolescence, j’étais assez complexée par ma voix que je trouvais trop grave. Nico m’a réconfortée, elle m’a donné envie de me lancer, je me suis dit « c’est possible ».
Dans quel(s) genre(s) tes parents t’ont-ils baigné ?
Ça se vaut pour tout le monde je crois, notre culture musicale se moule avec celle de nos parents. Le rock anglais, premièrement, comme les Beatles. Surtout, j’ai été réconciliée avec la chanson française, que j’admire beaucoup désormais, grâce à mon père. Il m’a fait découvrir Jacques Higelin et William Sheller.
Naturellement, tu as pu tracer ton propre sillon avec tes expériences. Quelle est ta place dans La Femme aujourd’hui ? C’est un groupe pour lequel tu as pu composer.
Honnêtement, je ne pense pas avoir eu une place définie au sein de La Femme, et c’est tant mieux, ça me laisse la possibilité de m’émanciper de mon côté. Je n’y ai jamais été associée concrètement. Pour autant je suis ravie de notre collaboration et je remettrai ça avec plaisir ! C’est une grande famille qui n’a jamais cessé de croire en moi.
Tu as également figuré sur le dernier album de Nekfeu, « Cyborg », où tu poses ta voix sur ce que je considère comme le meilleur morceau, « Avant tu riais ».
Ça s’est passé de manière totalement incongrue. En fait, il a dû récupérer mon contact via un membre de La Femme et il m’a juste envoyé un texto. C’est quelqu’un de très entier, de très professionnel. C’est un morceau qui mélange habilement nos deux voix.
Parlons davantage de ta musique. Ton EP « Monstre d’amour » est sorti fin avril. Aucun regret, avec le recul ?
Je suis très heureuse de cet EP. Pour l’instant, je ne regrette rien. Tout ce que je souhaitais s’est réalisé : il se lit d’une traite et me semble cohérent car il représente un moment fort de ma vie : la rupture amoureuse, très dure, mais aussi la solitude… Ce sont des thèmes qui m’ont poursuivi pendant la composition. Détail important : je n’ai jamais essayé de l’embellir, il fallait qu’il ait ce caractère brut.
Un contexte émotionnel, c’est ce qui te motive ?
Dans un an, quand je regarderai de loin cet EP, je pourrai me dire qu’il a fièrement représenté une période de ma vie. Quand notre musique gravite autour des thèmes qui nous sont chers, elle vire au personnel, au règlement de compte parfois. C’est comme ma cicatrice.
Ce monstre d’amour, c’est toi ?
C’est ce que j’ai été, du moins. Quand j’y repense, je me revois comme une sorte de créature possédée par ses sentiments que je reconnais plus.
Tu es d’accord si je considère le monstre d’amour comme étant un pur oxymore ? Le monstre est inhumain, laid, tandis qu’on dit que l’amour nous rend beau.
Oui. Mais l’amour, c’est aussi une transformation ! Ces deux mots peuvent aussi être très liés. Un monstre peut résulter du mélange de deux entités, à l’effigie du couple. Amoureux, on devient comme un monstre à deux têtes tu vois, on peut perdre de notre individualité.
Pour l’instant, ta musique sonne très vrai, dénuée de métaphores filées…
J’essaie de rester dans le concret. Je m’inspire pas mal d’auteurs comme Marguerite Duras qui écrit de manière frontale, elle ne dandine pas. C’est très important pour moi qu’on puisse s’identifier à mes paroles, je ne désire pas faire de musique élitiste.
Globalement, ton EP est teinté de noirceur. Tes prochains morceaux seront-ils dans cette lignée ?
Peut-être, il faut toujours évoluer, ne jamais rester dans le même « mood », sinon on s’y perd facilement.
Et l’album ?
Je peux considérer qu’il est terminé. Il sortira d’ailleurs courant janvier 2018 si tout va bien, avec une dizaine de titres. Mon souci, c’est le titre. Impossible de me décider…
Quels sont les disques qui tournaient en permanence pendant la composition de cet album ?
Au risque de décevoir, je n’écoute pas beaucoup de « nouveautés ». Toujours les mêmes, mes disques fétiches. L’album Pink Moon de Nick Drake, la discographie de Pond. La chanson française aussi, comme Pépite, Juliette Armanet ou encore les albums Trash Yéyé et La Superbe de Benjamin Biolay.
Un duo avec Biolay ?
Après avoir assuré la première partie à un de ses concerts à l’Elysée Montmartre, j’ai déjà eu l’occasion de chanter avec lui. (Alcaline, replay bientôt disponible). Surtout, j’ai rencontré Chiara Mastroianni, grâce à lui et ça m’a conforté dans l’idée de vouloir faire, un jour, un duo avec une femme. Avec elle si possible… *rires*
En plus de la variété scénique que tu proposes, tu joues de la guitare. Le piano/voix, ça ne te tente pas ?
Je pense que je préfère rester debout. Tu sais, quand je compose, je ne me contente que de quelques accords. Après je laisse la chanson évoluer avec le temps, mais je ne veux pas « trop » bosser, de peur de perdre cette naïveté. Être debout, en tout cas, ça fait partie de cette philosophie : je suis confort dans ce que je fais.
Qu’en est-il de ce fameux mouvement de main que tu effectues sur scène, à plusieurs reprises ?
Star Trek ? Non, plus sérieusement, je ne sais pas d’où il vient… C’est comme un salut, je crois. Une fois, j’ai vu une photo de cette place à Chandigarh en Inde, où il y avait cette structure en forme de main, ouverte à autrui. C’est une sorte d’idée de communion qui m’a plu. J’aime les gens ! D’ailleurs, beaucoup de choses passent par les mains. Dans le film Barbarella, ils font l’amour avec leurs mains. La musique se joue en grande partie avec les mains. C’est le labeur, le travail, le contact.
Tu pourrais utiliser ta musique pour engager un combat ?
C’est marrant que tu me dises ça, car dans mon album une chanson s’appellera « La grenade » et parlera d’une cause féministe. À ce propos, je suis naturellement engagée.
Rassembler avec la musique, ça te tente ?
Tout ce qui m’importe, c’est que ma musique parle. Je pense que je ne serai pas heureuse si elle me coupait du monde.
« Monstre d’amour », disponible depuis le 28 avril 2017.
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