CHRONIQUE D'UN TRAVAILLEUR DU SPECTACLE EN PÉRIODE DE COVID

Nous sommes le 31 août 2020 et mon métier c’est de participer à la mise en place, à l’organisation, au bon déroulement des concerts, festivals, pièces de théâtre, tournées ou tout autre événement dans le milieu du spectacle vivant, ainsi que de permettre aux artistes de jouer dans les meilleures conditions possible et faire en sorte que le public assiste aux spectacles le plus confortablement possible et en toute sécurité. Je suis régisseur, technicien, directeur technique, chauffeur de camion, chauffeur de bus, gestionnaire de salle de spectacle, loueur de matériel, prestataire de services (sécu, catering, transports…) ou tout autre personne vivant directement des activités du secteur du spectacle vivant.

D’habitude je ne manque pas d’activités, surtout en cette période estivale où les festivals et événements s’enchaînent, mais cette année, je n’ai pas du tout travaillé de l’été… Ni même du printemps. Je n’ai participé à l’organisation d’aucun spectacle depuis plus de 6 mois…. Cette année je n’ai en fait pu travailler que 3 mois et demi au tout début de l’année et depuis, plus rien. Depuis, on m’interdit de travailler.

La raison ? Un virus qu’on ne connaissait pas qu’on appelle le CoronaVirus qui se propage un peu partout et fait pas mal de dégâts… L’année avait commencé comme les autres années mais le 16 mars le gouvernement a décidé d’interdire toutes formes de rassemblements, de fermer les magasins, les centres commerciaux, les restaurants, les bars et de confiner les gens chez eux afin de limiter au maximum la propagation du virus. Je me retrouve donc dans une période durant laquelle toutes mes missions (entre nous on dit « des dates ») sont annulées et durant laquelle je me retrouve sans aucune activité professionnelle, ce qui ne m’était jamais ou alors très rarement arrivé… Ça fait bizarre !

Pendant cette période, mes revenus tombent bien bas, et souvent à 0. Dans le domaine du spectacle, pour la majorité d’entre nous, quand on ne travaille pas, on gagne beaucoup moins voire pas du tout d’argent . En effet, outre ceux qui sont employés en CDI qui ne représentent qu’une petite partie des travailleurs du spectacle , comme la majorité de mes collègues je suis : – Soit intermittent du spectacle indemnisé car mes employeurs et moi-même avons suffisamment cotisé l’année passée pour que j’ai le droit de toucher des allocations les jours où je ne travaille pas et ce pendant 12 mois, allocations qui représentent entre 30% et 45% de mon salaire moyen. – Soit intermittent du spectacle non indemnisé , n’ayant pas suffisamment cotisé l’année dernière, je ne touche donc aucun revenu si je ne travaille pas.

– Soit indépendant, auto-entrepreneur, gérant de société, etc… Je ne touche également aucun revenu si je ne travaille pas. Je dois par contre continuer à payer toutes les charges mensuelles afin que mon entreprise soit autorisée à rester ouverte et à exercer. Si je suis employé (CDI ou intermittent), pour faire face à cette perte d’activité, le gouvernement à mis en place des aides donnant la possibilité à mes employeurs de me verser du chômage partiel. Toutefois si je suis intermittent (indemnisé ou non) beaucoup refusent d’y avoir recourt car pour moi, une partie non négligeable des charges salariales n’est pas prise en compte dans les aides gouvernementales et reste à la charge des employeurs. Vu que les entreprises qui m’emploient se retrouvent sans aucun chiffre d’affaire, la plupart d’entre elles n’appliquent pas le chômage partiel, ou alors que temporairement…

La situation est donc compliquée ! Mais je me dis que ce n’est qu’un petit moment dur à passer, que dès cet été la pandémie va se calmer et que nous allons tous pouvoir repartir sur les routes pour divertir les gens, organiser nos spectacles, nos festivals….Faire notre métier ! Enfin au bout de 2 mois, la propagation du virus se calme. Au mois de Mai, l’autorisation est accordée aux gens de sortir de chez eux sans restriction et aux restaurants, bars, magasins, trains, avions, centres commerciaux de ré-ouvrir avec en général une forte incitation à porter le masque et l’obligation de respecter 1m de distance entre les personnes Cette obligation d’1m de séparation sera levée environ un mois après pour les trains et les avions pour qu’ils puissent vendre 100% de leurs places.

Nous aussi , dans le secteur du spectacle, nous sommes à nouveau autorisés à organiser des événements mais vu que cela occasionnera des rassemblements de plusieurs centaines voir milliers de personnes et des situations où les gens seront très proches les un des autres, le gouvernement, sous les conseils des chercheurs et des scientifiques , nous impose des règles très strictes à respecter jusqu’à au moins début juin.

Cette Échéance sera repoussée à début août puis à fin août quelques semaines après. Les plus importantes de ces règles sanitaires pour l’organisation d’un spectacle / concert / festival sont les suivantes : – l’interdiction des spectacles avec public debout – l’espacement obligatoire d’1m entre les spectateurs

– l’interdiction des rassemblements de plus de 5000 personnes, sauf dérogation préfectorale

-la décision finale de l’autorisation ou non du maintien d’un événement sera prise par les préfets. (comme c’était déjà le cas avant) Ça nous jette un froid car concrètement, ces règles interdisent le maintien de la plupart des principaux festivals français (interdiction du public debout et interdiction des jauges de plus de 5000 personnes). Elles posent également un problème de rentabilité qui va contraindre beaucoup de promoteurs et producteurs à choisir d’annuler les spectacles prévus plutôt que de les maintenir et perdre de l’argent : un spectacle devient rentable quand au moins 75% des billets sont vendus, or afin de respecter la règle du siège vide entre chaque spectateur, il ne leur sera pas possible de mettre en vente plus de 50% ou 60% des billets.  Ces règles sont donc dures à entendre car pour nous elles signifient la multiplication des annulations et un possible prolongement de la période sans travail . Mais comme nous ne sommes ni virologues, ni chercheurs, ni médecins, ni scientifiques, nous n’avons pas les compétences pour juger si elles sont justifiées ou non, donc nous les acceptons.

Certains organisateurs vont malgré tout jouer leurs spectacles en en modifiant l’organisation afin d’appliquer les nouvelles règles sanitaires, quitte à ne pas gagner d’argent, voire même à en perdre. Ils le font par passion, par envie de divertir les gens, mais aussi parce qu’ils ne veulent pas laisser les centaines de personnes et les sociétés impliquées dans l’organisation de l’événement sur le carreau. Ils décident donc, malgré tout, de monter les dossiers et faire les différentes demandes d’autorisations en préfecture en prenant bien soin de démontrer que toutes les dispositions
ont été prises pour satisfaire aux règles de distanciation, de limite de jauge etc…

Là, un phénomène nouveau, mais qui allait se répéter sans cesse durant tout l’été, est apparu : l’interdiction par les préfets, sans raison précise, de l’organisation des spectacles malgré l’application des règles sanitaires imposées par le gouvernement. Certains événements sont même dans un premier temps autorisés, donnant le feu vert aux équipes pour commencer les préparatifs, puis annulés quelques jours ou semaines plus tard par un arrêté préfectoral contredisant l’autorisation précédemment donnée.
Certains organisateurs ont également formulé des demandes de dérogation pour faire augmenter la limite de jauge fixée 5000 personnes afin d’accueillir plus de monde tout en respectant les règles sanitaires et de distanciation, celles-ci ont été majoritairement refusées. A ma connaissance seules deux de ces demandes de dérogations ont été acceptées par le préfet de Vendée pour que le Puy du Fou puisse accueillir 9000 personnes au lieu de 5000 à son spectacle « la cinéscénie ».

A partir du moment où j’ai compris que même les spectacles organisés dans le respect de toutes les règles sanitaires imposées seraient majoritairement interdits par les préfets dans le seul but d’assurer leurs arrières et de désengager leurs responsabilités en cas d’apparition d’un foyer épidémique, j’ai compris qu’après ne pas avoir travaillé pendant les 3 mois de printemps, je n’allais pas non plus travailler de l’été. Effectivement, toutes les dates que j’avais de prévues cet été se sont annulées les unes après les autres. Je me suis donc retrouvé mi juin avec un planning totalement vide pour l’été alors que c’est normalement la saison où il est le plus rempli.

Pour que vous vous rendiez bien compte, l’annulation d’un spectacle constitue un manque à gagner non seulement pour la société qui l’organise, mais aussi pour les artistes, les techniciens (son, lumière, électricité, vidéo,…), l’équipe de production (producteurs, régisseurs, directeurs technique, administrateurs, comptables, chargés de production …), les fournisseurs (matériel scénique, mobilier, nourriture, boissons…), les sous-traitants (sécurité, catering, transport de matériel ou de personnes,…) et toutes les sociétés annexes qui vont bénéficier de l’affluence du public ( commerces locaux, restaurants, hôtels, bars…). Au total c’est plus d’une centaine de personnes et plusieurs dizaines de sociétés qui sont impactées par une seule annulation. Les employés sont pour la plupart intermittents ou indépendants, aucun dédommagement n’est donc prévu pour eux. Les entreprises, elles, ne sont pas dédommagées par leurs assurances car ces annulations étant prononcées dans le  cadre de la pandémie, elles constituent un « cas de force majeure » et ne rentrent contractuellement pas dans les conditions favorables à une indemnisation .

Le gouvernement, se rendant compte de la situation compliquée dans laquelle se trouve le secteur de la culture, vote l’année blanche pour les intermittents au début de l’été. Concrètement, si je suis intermittent indemnisé, la date de fin du versement de mes allocations les jours non travaillés est repoussée jusqu’au 31 aout 2021. Je recevrai donc ces allocations pendant quasiment 24 mois au lieu des 12 mois habituels. C’est bien, mais ce que le gouvernement semble oublier, ou peut-être ne sait pas, c’est que les intermittents indemnisés ne représentent qu’une toute petite partie des travailleurs du spectacle. Pour les autres ( intermittents non indemnisés, auto-entrepreneurs, indépendants, gérants de sociétés, sous traitants….) aucune aide n’est prévue et la perspective de passer un été sans travail ne présage rien de bon pour eux !

Nous sommes aujourd’hui le 31 août 2020, la saison d’été touche à sa fin et après l’avoir passée sans travail, les annonces d’annulations se multiplient pour tout l’automne. Cela fait 6 mois que je ne travaille pas et cela va durer… Autour de moi, je vois de plus en plus de sociétés et de salles de spectacles qui ferment car faute de trésorerie elles ne peuvent plus payer leurs charges. Je vois aussi de plus en plus de collègues intermittents ou indépendants changer de métier à regret…

L’échéance de l’obligation d’application des règles sanitaires dans le milieu du spectacle, initialement prévue fin juin, décalée à début août puis à fin août, a encore été repoussée. Les règles devront désormais être appliquées « jusqu’à nouvel ordre ». Il n’y a maintenant même plus de perspective quant à une éventuelle date ou période de reprise.
Les spectacles avec public debout sont toujours interdits, ceux avec plus de 5000 personnes également. En revanche quelques assouplissements ont été décidés ces derniers jours en ce qui concerne les spectacles assis. En effet la distanciation entre les spectateurs n’y est plus obligatoire dans les départements en zone « verte » ( zones où la propagation du virus est moindre). Sauf que depuis cette mesure, le nombre de départements en zone « rouge » ( zone où la propagation du virus est redevenue inquiétante et où touts rassemblement de personnes sont purement interdits par les préfets) ne cesse de s’accroître.

Vu l’actualité, il paraît évident que la majorité des départements va se retrouver en zone « rouge » ces prochains jours. De plus, les départements en zones vertes sont susceptibles de basculer en zone rouge du jour au lendemain sans préavis. Devant les incertitudes ainsi provoquées, les producteurs préfèrent annuler la plupart des tournées et spectacles prévus cet automne et cet hiver, ne voulant pas risquer de se voir totalement refuser l’organisation d’un événement au dernier moment après en avoir été dans un premier temps autorisé sous conditions.

Ces règles et ces incertitudes doivent donc être appliquées « jusqu ‘a nouvel ordre » mais je me dis que d’ici là, au rythme où vont les choses, tous les employeurs d’intermittents, indépendants, auto-entrepreneurs, sociétés de production, fournisseurs, sous-traitants… auront mis la clé sous la porte. Tous les talents qui permettent à la France d’avoir des spectacles aussi nombreux et d’une telle qualité se seront reconvertis dans une autre activité.

Bref, je me dis que d’ici la reprise, tout le savoir faire permettant la création d’un spectacle de qualité aura disparu … Alors oui, ces derniers jours, un plan d’aide financière à également été présenté par le gouvernement pour aider le secteur culturel, mais ce que je voudrais dire à nos ministres  c’est que faisant un métier qui pour moi est une passion, outre le coté financier de la perte totale de mon activité, il y’a le coté psychologique qui entre en jeu. Je ressens aujourd’hui exactement la même chose que si j’avais été sanctionné et qu’on m’interdisait de travailler suit à une faute que j’aurais commise. Si je suis gérant de société, tous les efforts que j’ai déployé pendant de nombreuses années pour lui faire maintenir une situation confortable sont aujourd’hui anéantis.

Je salue la mise en place des aides financières, nous sommes je pense dans l’un des pays où l’état aide le plus le secteur de la culture, mais vivre avec des aides financières sans avoir le droit de travailler ne m’intéresse pas. Ce que je souhaite c’est tout simplement pouvoir réexercer mon métier. L’idée de ne pas savoir si je pourrais le faire un jour et de me demander si je ne vais pas devoir envisager de changer d’activité est psychologiquement très compliquée à gérer. Je sais que pas mal de personnes dans notre milieu ont de très bonnes idées pour qu’on puisse reprendre de façon normale, en s’assurant bien sûr que tout le monde, public et membres de l’organisation, soient en sécurité. J’aimerai vraiment que ces idées soient entendues et que nous soyons autorisés à les appliquer ou au moins, dans un premier temps, à les tester.

Mesdames et Messieurs les ministres, Monsieur le Premier Ministre, Monsieur le Président de la République, vous nous dites que le Coronavirus est dangereux, nous l’entendons et le comprenons parfaitement.
Vous nous dites que rassembler des centaines voire des milliers de gens dans un même endroit est très risqué, nous l’entendons également.
Mais vu que les centres commerciaux , où des dizaines de milliers de clients sont debout, souvent entassées et se croisant à longueur de journée, sont autorisés à ouvrir; Que les trains et les avions où des centaines de voyageurs sont assis les uns à coté des autres sans siège vide entre eux sont autorisés à circuler ; Que la préfecture de Paris piétonnise les Champs-Elysées afin de permettre à des dizaines de milliers de supporters de foot de s’y rassembler sans distanciation et sans limite du nombre de personnes ;
Que les transports en commun voient passer des dizaines de milliers de passagers par jours, souvent serrés les uns contre les autres à cause de l’affluence des heures de pointe, respirant un air peu renouvelé et peu filtré, pourquoi ne pourrions nous pas discuter, travailler et échanger des idées ensemble afin d’envisager des solutions pour que nous soyons, au même titre que tous les autres secteurs, autorisés à reprendre totalement notre activité dans des conditions qui ne feraient pas prendre plus de risques aux spectateurs et aux travailleurs que si ils allaient faire leurs courses, prendre les transports ou se rassembler dans la rue pour soutenir leur équipe de foot favorite.
Comme exprimé dans ce texte, notre demande principale, bien plus que des aides financières, est de pouvoir recommencer à travailler et pouvoir offrir un renouveau économique et psychologique au milieu du spectacle qui est aujourd’hui à deux doigts de l’asphyxie totale !

William PARNIERE ( Technicien son)
Amandine Burlet (Technicienne son)